« Hop dès le matin, lève-toi, l’heure sonne, par Dominiquee H

« Hop dès le matin, lève-toi, l’heure sonne,

Hop dès le matin, lève-toi gaiement ! »

Cet air me trotte dans la tête depuis 70 ans … c’est-à-dire depuis mon camp de Guides en Centre Bretagne quand j’avais 14 ans…

Mais « hop dès le matin quand on a 84 ans, çà relève de l’exploit sportif !

On connait l’adage « si après 60 ans quand tu te réveilles tu n’as mal nulle part, c’est que tu es mort ». Alors à 84 ans, pensez donc !

Il faut d’abord réussir à s’asseoir dans le lit avec quelques contorsions, puis effectuer un demi-tour pour arriver à laisser les jambes pendre hors du lit, puis avancer la jambe droite par un mouvement du bassin (attention, toujours la jambe droite, pour éviter de se lever du pied gauche).

A ce stade reste le final : un mouvement de propulsion grâce à la vieille canne en noyer déposée contre la table de nuit.

Tout cela est assez bruyant, car toutes les articulations sollicitées gémissent et manifestent.

« Tu es craquante »  disait Albert, mon cher mari décédé, toujours prompt à rire de nos soucis de vieux.

Pauvre Albert, il n’y voyait plus guère à la fin. Il retardait toujours le moment d’aller chez « l’oculiste» juste en bas de l’immeuble. Quand il a fini par se résoudre à dire « Docteur, j’ai besoin de lunettes », la boulangère lui a répondu : « Certainement Albert, mais c’est la porte en face »…

Bon… ça y est, je suis debout. Allez… ! (Hop dès le matin…)

Ma robe de chambre irlandaise, un coup de brosse.

J’accroche mon dentier, je branche mes prothèses auditives, je chausse mes  lunettes

Ah … j’oubliais … mon masque … autour du cou pour le moment…

J’agrippe ma canne : parée pour la descente, comme on disait en haut des pistes de ski…

C’est bizarre les marches me semblent chaque jour un peu plus hautes, c’est le bois qui doit travailler…

Ma fille me dit que je devrais installer ma chambre au rez- de- chaussée et pourquoi pas aller en maison de retraite, pardon en  Népade comme on dit maintenant. Quelle horreur ! Il n’y a que des vieux là-dedans ! 

Bon… la cuisine… pas de doute je suis mieux sur le plat…

Bonjour Minou, tu as autant de mal que moi à te lever maintenant ! Et en plus tu es devenu un vieux râleur ! On dirait Albert ! 

Allez, je vais faire du café en attendant « la Dame de Pique ».

Aujourd’hui c’est Armelle, mon infirmière préférée ; mais je suis un peu inquiète car elle doit me faire le test pour la co-vi-de. Tout çà parce que j’ai reniflé 2 fois quand elle est passée et que je lui ai dit que ma soupe n’avait pas de goût.

Bon…Elle m’a expliqué qu’elle va gratouiller dans le nez avec un bâtonnet, que c’est un peu désagréable, mais ça ne fait pas mal, ça fait juste venir « une larme de crocodile ». Elle sait, elle, à quoi ça ressemble une larme de crocodile ? Moi je pense que c’est des bêtes, quand on les rencontre, il vaut mieux éviter de les faire pleurer !

Armelle, elle est toujours pressée comme les autres, mais quand même, parfois elle reste causer un peu.

Elle est gentille, et puis elle ne me dit jamais «Vous m’avez déjà raconté ça ». Pourtant je sais que je le lui ai déjà raconté, c’est peut-être elle qui perd la mémoire ?…

Ah ! Je l’entends…Un café ira peut- être avec elle …

La tête, les pieds, les dents et les yeux

Paul fonça tête baissée pour sortir du tunnel. J’essayais de le suivre, les pieds devant. On ne m’avait pas expliqué que si c’est la bonne manière de venir au monde pour un poulain, çà ne l’est pas pour un petit humain. Je faillis mettre la vie de notre mère en danger.

A Paul, la famille trouva d’emblée une bonne tête de bébé rose et joufflu ; moi il leur semblait déjà que je faisais une drôle de tête. Notre mère, une femme de tête, peu encline à pouponner deux têtes blondes nous confia à Henriette, une nounou qui n’avait pas les deux pieds dans le même sabot et qui se mit à pied d’œuvre pour parfaire notre éducation. Tout de suite, elle se mit en tête que j’étais une tête de pioche, et je devins sa tête de Turc : œil de velours pour Paul et œil de lynx pour moi, traquant la moindre incartade ; elle semblait avoir des yeux derrière la tête.A force d’entendre Henriette répéter que je lui prenais la tête, qu’à cause de moi elle ne savait où donner de la tête, ma mère excédée se résolut à une mise à pied…Mais le mal était fait ; j’avais désormais bien en tête que je n’étais qu’une tête de mule, une tête de linotte, une tête de cochon, alors que mon frère serait toujours tête de file.
Vint le temps de l’école…Clara, l’institutrice, avait la tête sur les épaules.Mais moi, persuadée que je n’étais qu’une tête de lard, je n’eus qu’une idée en tête : casser les pieds, être sans cesse sur le pied de guerre.La comparaison avec mon frère était facile : il avait les pieds sur terre, j’avais la tête dans les nuages ; il travaillait d’arrachepied, je n’en faisais qu’à ma tête…Les autres enfants y allaient de leurs commentaires : « elle est bête comme ses pieds », et ils se payaient ma tête.Clara fit de son mieux pour me tenir la tête hors de l’eau, mais pour la première fois de sa carrière elle sembla se casser les dents.
Pendant les vacances nos parents se creusaient la tête pour nous trouver de belles occupations.Equipés des pieds à la tête ils nous emmenaient dans de grandes marches sur les sentiers côtiers ; Paul achevait la randonnée bon pied bon œil quand je ne pouvais plus mettre un pied devant l’autre…Puis ils nous inscrivaient à l’école de voile, où Paul prenait son pied, mais moi je n’avais pas le pied marin…Suivait alors  l’école d’équitation où je mis rapidement pied à terre alors que Paul apprenait les subtilités du galop sur le bon pied…
Nous avons grandi. Paul avait les dents longues ; il avait toujours su foncer, les yeux fermés, et une brillante carrière s’offrait à lui.« Œil pour œil, dent pour dent » était devenu sa devise, simpliste mais efficace. De plus il avait tapé dans l’œil d’une riche héritière qui n’avait d’yeux que pour lui. Ils achetèrent un pied à terre qui coutait  les yeux de la tête sur une côte réputée.L’arrivisme de mon frère me sortait par les yeux, me faisait grincer des dents. Mais que pouvais-je dire ?  Nous n’étions pas sur un pied d’égalité….De mon côté je perdais pied, de plus en plus. Je trainais les pieds à la fac, les yeux dans le vide…
Et puis il y eut Vincent, tête frisée et œil rieur…« Eh ben dis ! Tu en fais une tête ! »Je marmonnais entre mes dents. Il m’entraina  à la « cafet »Il était en dernière année de psycho. Je résistais pied à pied, pensant qu’il me prenait pour un sujet d’étude sur qui il voulait se faire les dents.Mais notre tête à tête se prolongea et se termina les yeux dans les yeux.Je repris peu à peu pied dans la vie et dans les études. Et quand il me dit qu’il tenait à moi comme à la prunelle de ses yeux, j’eus l’impression de remettre les pieds sur la terre ferme. Et j’allais enfin tête haute.
Aujourd’hui je prends ma retraite après une vie bien remplie de psychologue scolaire où j’ai souvent fait des pieds et des mains pour des enfants à la tête basse et aux yeux morts.Depuis quelques années Paul n’allait pas bien, cela crevait les yeux. ; Il se défoulait dans des bolides de sport, pied au plancher. Il a eu un grave accident, n’avait alors plus toute sa tête. Cette fois c’est lui qui est parti les pieds devant…

La vie nous fait bien des pieds de nez !….

  Sérénité

La séance de longe -côte n’avait duré que 45 minutes car l’eau de cette fin d’hiver ne dépassait guère 12 degrés…

Durant toute la séance des nuages noirs s’étaient accumulés et un vent aigrelet avait soulevé un feston d’écume grise recraché sur le sable.

Notre groupe s’était rapidement dispersé, sans sacrifier aux habituels papotages.

J’étais transie…

A présent seule sur la plage je me démenais pour enlever ma combinaison qui prenait un malin plaisir à me coller au corps, puis je m’étrillais comme si ma survie en dépendait.

Ce petit exercice m’avait remis les idées en place, j’avais arrêté de claquer des dents… J’enfilais une polaire.

Le vent était tombé. Un rayon de soleil avait transpercé la chape noire et commençait à me caresser doucement les jambes.

J’étalais ma serviette et je m’assis, les genoux repliés contre la poitrine, encore figée dans une posture de protection.

La trouée dans les nuages s’était élargie et le soleil prenait de la vigueur.

Mon maillot était presque sec, j’enlevais ma polaire.

Une douce chaleur enveloppa mes épaules et mon buste.

Je dépliais les genoux et m’allongeais, les bras étendus pour mieux absorber ce bienfaisant rayonnement.

Mon crâne aussi appréciait cette tiédeur et mon cerveau semblait me délivrer une légère ivresse.

Hormis un murmure de clapotis, aucun bruit ne venait troubler le silence. Même les trois mouettes bavardes qui avaient assisté à ma sortie de l’eau s’étaient discrètement éloignées.

Un subtil fumet iodé me ravissait les narines.

Au-dessus de moi je regardais quelques nuages floconneux s’effilocher dans le ciel éclairci. J’imaginais la baie déployée au bout de mes pieds, comme un prolongement de moi-même et il me semblait qu’elle aussi se prélassait dans la tiédeur retrouvée.

Une sensation de total bien être s’insinuait peu à peu, remontant de mes orteils à mon cuir chevelu comme le massage du meilleur institut de thalassothérapie. Paix du corps…

La légère ivresse s’était estompée, laissant place à une sensation de sérénité que nulle pensée n’éraillait. Paix de l’esprit…

Dans le ciel la fumée blanche d’une locomotive céda la place à un vieillard barbu…

Je m’endormis…

  « les temps »

S’il n’y avait pas eu l’épidémie de COVID, j’aurais pu faire tant de choses !

Mais encore eut- il fallut que j’en eusse le temps et les moyens !

Car dans mes rêves de confinée je me projetais sur tant et tant d’activités à venir que, bien que je fusse en temps ordinaire quelqu’un de raisonnable, bien que j’eusse tenté de me recadrer dans la réalité, je ne pus contenir les élans de mon imagination.

–         « Qu’eussiez-vous fait si les restaurants et les bars avaient réouvert ?

–         « J’aurais diné au restaurant tous les soirs ! »

–         « Que feriez-vous si les spectacles reprenaient ? »

–         « J’irais de théâtre en théâtre, sans rater aucune représentation ! »

–         « Qu’auriez-vous fait hier soir si le couvre-feu avait été levé ? »

–         « Je serais restée dormir sur la plage ! »

Quelle valse des conditionnels et des subjonctifs !!!

Mais pour tous ces projets il aurait fallu que j’aie économisé de quoi m’offrir tous ces restos, que je préfère le théâtre à Netflix, et que j’eusse aimé dormir à la belle étoile…

Ces temps ne sont vraiment pas fiables ! Ils nous embarquent dans tant d’hypothèses, de supputations, et de faux espoirs que je pense que les temps simples de l’indicatif conviennent mieux  à ma réalité quotidienne et peuvent être tout aussi doux !

Aujourd’hui je me suis promenée sur les bords de l’Odet illuminés par le printemps.

Ce soir je déguste des moules au curry.

Demain j’irai en librairie m’offrir un nouveau livre….

PARTIR SANS  « E », PARTIR SANS EUX

1963  « Mr 100 000 volts » chantait 

« La- La- La  à ORLY La-La-La 

On voit un avion pour tous les pays La-La-la … »

L’avion symbolisait alors l’inconnu, l’infini…

Toujours vrai aujourd’hui ! Surtout du fait du Covid qui a rompu nos impulsions, nos souhaits pour un grand vol…

Mais courir à Orly pour voir un avion ou pour la divagation au listing « Arrivals » ?

D’abord il faudrait choisir un lundi ou un mardi.

On chanterait alors « Lundi à Orly La-la-la »…

On pourrait alors partir pour Aurillac ou Pau ? Bof…

Munich, Madrid ou Milan ? Ah !

Ajaccio, Bastia ou Calvi ? Ah ! Ah !

Mais trop limitant tout cela ! Courons voir à Roissy !

Choisissons-nous San Francisco ? Tramways, Chinatown, Alcatraz…

Ou Rio ? Copacabana, Corcovado, Carnaval…

Ou Nairobi ? Masai, Kikuyu, Safaris…

Ou Mumbai ? Saris, curry, chapatis…

Mais seuls pourront partir Patricia, Tatiana, Thomas, Raoul.

Alors tant pis ! Nous irons tous à Locronan !

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