J’ai longtemps hésité avant de vous infliger cette photo… D’accord, c’est de mauvais gout, mais que voulez vous, on ne se refait pas ! Non, je n’ai pas perdu la tête, pas encore, du moins.
Non, je ne suis pas sainte, pas encore, du moins… Je me classerais plutôt dans la catégorie « iconoclaste », Emplie d’un désir de vengeance contre ces fariboles qui vous déterminent dès votre tendre enfance.
Ainsi donc en est il de l’édifiante histoire de mon très saint prénom.
C’est au fond d’une petite église berrichonne que j’ai rencontré ma « patronne ».
Une statue de plâtre un peu ébréchée, juchée sur une modeste colonne à l’angle d’une chapelle latérale, éclairée par quelques cierges à la flamme vacillante.
Une jeune, très jeune fille pure et naïve, tenant sa tête dans ses mains, entourée de brebis et de moutons serrés contre elle …
On aurait pu penser Domrémy et Jeanne la pucelle…Même modestie, même aura de sainteté, même joliesse paysanne de jeune fille à peine en fleur.
Mais Sainte Solange, ma sainte à moi, était d’une trempe de martyre.
L’autre également, me direz-vous, mais si Jeanne d’Arc fut flamboyante, au destin que l’on sait, ma sainte à moi resta modeste, petite et bergère jusqu’au bout.
On raconte en effet que le seigneur du château voisin, prédateur s’il en fut, voulut cueillir cette fleur des champs.
Solange s’enfuit, empêtrée dans son jupon de laine grise, et gênée par son troupeau bête et bêlant, agglutiné autour d’elle, l’entravant et l’empêchant de s’ensauver…
L’ogre la rattrapit, et voulut la forcer : « Ta fleur ou ta vie », qu’il lui aurait dit !!!
Vertueuse, elle refuit, et se fit couper la tête d’un grand coup d’épée !
La légende raconte qu’elle ramassit sa tête avec dignité, et s’éloigna au milieu de ses moutons, ce qui impressionna fort le hobereau qui remonta ses braies, et s’enfuit très choqué sur son fougueux destrier.
Agenouillée au pied de cette incroyable héroïne, j’écoutais ma mère me compter cette histoire… bouche bée.
J’étais haute comme trois pommes et en fus très impressionnée.
Souvent, j’y ai repensé, me demandant si j’aurais accepté le martyre aussi noblement, ou si je n’aurais pas plutôt joué les « Shéhérazade » qui chaque nuit, racontait de merveilleuses histoires pour échapper à la mort.
Ou si Solange n’avait pas été un peu bête et aurait raté la chance de sa vie : épouser un prince charmant et vivre au château couverte d’or et de brocard le reste de ses jours.
(Mais ceci est une pensée non politiquement correcte)
Bref, je crois que j’ai refusé une mort si bête, une histoire si inutile, une légende si peu édifiante et consolatrice, que de voir une jeunette partir avec sa tête sous le bras !
Peut-être -mais rien n’est prouvé- Sainte Solange m’a-t-elle aidée à m’affranchir de ces histoires improbables diffusée par toutes les religions qui mènent le monde.
Reste que ma mère avait choisi ce prénom…
Domestique dans une maison de maitre, elle avait fondu de tendresse pour la petite Solange, l’enfant de ses patrons, diaphane, blonde et si belle !!!
Je suis donc l’héritière d’une sainte qui a perdu la tête, et d’une fillette de bonne famille, née avec une cuiller en argent dans la bouche ! Le tout dans une famille d’ouvriers vertueux et modestes, et dévots.
Quel riche mélange ! Il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour regimber, poser des questions incongrues et inconvenantes, et marcher presque toujours en « pas de côté ».
En maternelle, les enfants de ma classe régulièrement, jouaient à « Solange comme une orange, Solange comme un ange, Voire Solange comme un losange », les années où j’avais un surdoué dans mon troupeau… Mais j’ai toujours préféré le côté Sol, solaire, au côté ange si « émollient » qui m’agace un peu…
J’aurais pu, j’aurais aimé m’appeler Calamity-Jane, ou Calamity-Sol, ce qui aurait pu justifier et asseoir mon côté gaffe, catastrophe, ou provoc, au gré des circonstances.
Mais au fond, qu’est-ce que ça aurait changé ? Un prénom angélique avec une envie de rire, ou de marcher de travers, ça n’est pas si mal !
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