Comment rater sa demande en mariage Par Isabelle M

Comment rater sa demande en mariage

Marguerite vivait à la campagne, dans une vaste maison de style néo-breton. Jeune retraitée et veuve depuis peu, elle se renfermait. Rien ne venait abolir sa solitude. Auparavant, avec son époux, ils participaient à des escape games, descendaient des pentes en tyrolienne, dormaient dans des cabanes… Aujourd’hui, elle se claquemurait. La voiture servait surtout aux visites dans les grandes surfaces. Son médecin avait évoqué une phase normale : le temps nécessaire du deuil.

Un matin, alors qu’elle parcourait le journal, ses pensées divaguèrent. Elle laissa affleurer les souvenirs, poindre les larmes. À la page des petites annonces, elle s’attarda sur les animaux. Il y avait là un vieux chien qui cherchait une famille, un « panier-retraite » disait l’annonce. C’était un petit bichon blanc du nom de Cyclone. Affectueux et malin, il avait connu différents maîtres dont le dernier vivait désormais en Ehpad. Le sort de ce chien l’attendrit. Elle esquissa même un sourire. Pourquoi ne pas offrir un nouveau logis à Cyclone ? Son défunt mari ne supportait pas les chiens alors qu’elle avait toujours rêvé d’en adopter.

Elle appela le numéro indiqué dans l’annonce. Une dame charmante, présidente d’une association de protection animale, lui répondit. Après une avalanche de questions, elle vint lui présenter Cyclone. La dame lui prodigua moult conseils, comment le soigner, le nourrir, le brosser, le baigner… Il ne restait qu’à signer les formulaires.

Le chien fit d’emblée la fête à Marguerite. Elle caressait gaiement les poils soyeux de sa tête. Cyclone n’avait qu’un défaut : en dépit de son petit gabarit, Il effrayait les facteurs. Adorable par ailleurs, il se transformait en teigne en présence d’un postier, aboyant et montrant les crocs. Les facteurs ne s’approchèrent plus de la porte de Marguerite et renoncèrent à lui apporter ses colis. Elle prit l’habitude de les retirer à la Poste et privilégia les achats chez les petits commerçants.

Marguerite sortit à nouveau, d’abord par obligation, pour promener Cyclone, puis pour le plaisir. Aux côtés de son loulou, elle retrouva, peu à peu, sa joie de vivre. Elle s’inscrivit à un cours d’aquarelle où elle se lia à Jean-Sébastien. C’était un ancien pianiste qui adorait les chiens. Il lui joua des morceaux d’Erik Satie, empreints d’une vive émotion, la charma de ses notes. La musique les faisait vibrer. Jean-Sébastien finit par s’installer dans son grand pavillon. Il s’attacha lui aussi à Cyclone, bien qu’il trouvât son nom ridicule, on eût dit un nom d’aspirateur.

Au fil des années, l’idée germa dans leur esprit de déménager au bord de la mer. Ils eurent un coup de cœur pour une belle longère, entourée de pins odoriférants.

Mais à peine avaient-ils emménagé que Cyclone mourut. il n’effraierait plus jamais les facteurs. Il laissa un grand vide, une douloureuse béance. Marguerite s’efforça de ne plus penser à son cher toutou. Afin de lui remonter le moral, Jean-Sébastien choisit ce moment pour lui envoyer sa demande en mariage, sous forme de poème. Il devait précisément partir en train à Paris pour un stage de piano. Il posta la lettre la veille de son départ. Marguerite aurait tout le temps de réfléchir à une réponse.

Celle-ci accompagna Jean-Sébastien à la gare, sans se douter de rien. Elle l’embrassa, avant de prendre, seule, le chemin du retour. L’épisode qui suivit la bouleversa, lui rappelant amèrement que Cyclone n’était plus là.

Au moment où elle allait entrer dans sa nouvelle demeure, elle aperçut quelque chose de blanc sous la porte, c’était une lettre que le facteur avait glissée là, en son absence.

Isabelle, le 2 décembre 2020

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s