L’ignorance

L’IGNORANTE
La violence des images l’accabla. Comment pouvait-on s’entretuer pour un dieu dont l’existence n’était qu’arbitraire ? Impossible pour elle qui ne connaissait ni les textes religieux, ni les prières de comprendre ces comportements fanatiques. En soupirant, elle éteignit la télévision et sortit dans le jardin chercher un peu de fraîcheur sous les arbres qui formaient un petit bois en bas de la pelouse. Ils étaient un espace de liberté à côté du jardin parfaitement entretenu, des fleurs et des massifs plantés selon un plan strict où rien n’était laissé au hasard, un choix qui n’était pas le sien.
D’un naturel nonchalant, elle aimait se prélasser dans son hamac, qu’elle avait fait installer dans le bosquet entre deux arbres, à l’abri des regards. L’air était encore tiède, le vent agitait doucement les feuilles de châtaignier et la poussait à la rêverie. Mais aujourd’hui, la rêverie s’ était transformée en questionnement : elle se demandait si son mari la trompait…Elle laissait l’idée se former et affleurer à son cerveau, elle la sentait là, qui ne voulait pas partir. Malgré son ignorance sur le fonctionnement de cet organe noble, elle voyait que les connexions se faisaient toutes dans le même sens et qu’elle ne pouvait y échapper. Cette idée germait dans son esprit, puis disparaissait comme une ombre.
Connaît -on les pensée des autres, celles de son entourage en particulier ?
L’attitude de son époux l’intriguait depuis quelque temps. Lui, si prévisible, était devenu distrait et semblait lointain et préoccupé. De plus, il s’absentait souvent de la maison, prétextant un travail important en cours. Certainement que son métier d’astro-physicien lui laissait peu de répit . Elle essayait bien de comprendre comment on faisait décoller une fusée, comment elle atteignait un endroit précis dans l’espace, pourquoi les soleils mourraient tous les uns après les autres, quand l’univers finirait, sujets inépuisables aux yeux de son mari. Mais cela restait trop abstrait pour elle ; elle préférait se demander ce qu’exprimaient les yeux verts de son chat, si ses enfants allaient se marier et aussi pourquoi certains humains aimaient tant le pouvoir.
Le hamac se balançait tranquillement. N’était -elle pas bien ainsi, à profiter de cette paisible fin de journée ? Fini de se poser des questions existentielles, sur la vie d’après, la présence d’extra-terrestres, l’origine du monde, de quoi l’avenir sera fait, et toutes ces questions auxquelles il n’y avait pas de réponse.
Il faudrait qu’elle lui parle bientôt.
Mais des choses ignorées ne présentent pas toujours d’intérêt à être connues, songeait-elle. Est-il bon de savoir trop de choses ? On s’encombre l’esprit ; ne serait-il pas mieux d’oublier ces pensées incertaines qui l’embrument ?
Elle lui demandera simplement s’ il l’aime vraiment.
On ne connaît pas la portée de nos paroles, ni de nos actes et elle ne voudrait pas gâcher cette belle journée. J’espère qu’il ne pleuvra pas demain, pensa t-elle avant de s’assoupir.
Quand elle se réveilla, la nuit était sur le point de tomber. Elle essaya de se hisser hors de son hamac, mais un vertige épouvantable la saisit brutalement, la cime des arbres tourbillonnaient au-dessus d’elle et elle fut saisie d’une violente nausée. Quand elle réussit à mettre les pieds par terre, son corps fut projeté sur le côté brutalement et elle eut du mal à trouver l’équilibre. Elle avait l’habitude de ces vertiges, impossibles à contrôler malgré la connaissance qu’elle avait de ces symptômes, traités régulièrement avec plus ou moins de succès. Pourquoi son corps lui désobéissait ainsi parfois ? La cause et en conséquence l’évolution de cette situation était multifactorielle, mais
peut-être que le malentendu installé entre elle et son mari en était en partie responsable. Comme de ces larmes qui gonflaient ses yeux à l’improviste, la laissant désemparée.
La maison était plongée dans l’obscurité , ce qui signifiait que son mari n’était toujours pas rentré. Elle entendit le bruit de volets que l’on ferme dans le terrain d’à côté. Elle connaissait à peine sa voisine, installée pourtant depuis plusieurs années dans le quartier, tout comme eux. Elle avait toujours l’air si triste, quel drame avait-elle traversé pour avoir ce regard dévasté ? Elle n’avait jamais osé lui en parler. Par indifférence, par pudeur ? Elle mesura l’ampleur de son ignorance sur les motivations qui la poussait à agir.
Les pensées se bousculaient dans sa tête, elle n’avait peut-être pas raison de laisser une situation ambiguë s’ installer. Son indolence n’était-elle pas une attitude pour ne pas affronter la réalité ? Qui était -elle vraiment et que souhaitait-elle ? Sans réfléchir plus avant, elle se saisit de son  téléphone.

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