L’IGNORANCE
« Votre sujet de bac cette année est : L’agnotologie »
Sujet peu ordinaire pour une année qui ne l’est pas moins.
Il n’y a qu’un sujet.
- Aussi la consigne est de rédiger une histoire sur l’ignorance. Faites preuve d’imagination, étonnez nous, étonnez vous. Vous avez 4 heures.
Installé fébrilement dans cette grande salle du lycée X d’une province bretonne je restais figé en moi paralysé par …….mon ignorance. Qu’allais-je bien dire, chercher dans les limbes de mon inconnaissance ?
Stylo en main page plus blanche que blanche je réfléchissais. Le temps s’écoulait, les minutes allaient devenir des heures si je ne manifestais pas quelques bribes de mon ignorance.
Je me sentais comme St Exupéry devant le Petit Prince lui demandant : « dessine moi un mouton ». Il ne le connaissait pas, ne sachant pas d’où il venait pourtant il existait.
« Dessine-moi l’ignorance » surgit à ma conscience. Oui c’est bien elle qui va prendre toute la place, nous étonner, nous faire savoir qui elle est vraiment afin de nous faire contempler, accepter notre méconnaissance. Gabin n’évoque t’il pas sa conception de l’ignorance : « à 20 ans on sait tout, à 40 ans on hésite, à 60 ans on prend conscience qu’on ne sait rien, mais ca je le sais ».
Ma dissertation s’énonça d’elle-même, les idées se confrontèrent, les mots se bousculèrent, çà y est mon stylo noircit les premières lignes. Il me restait à le suivre.
Je m’appelle Ignorance, de sexe féminin singulier ou pluriel. J’existe depuis la nuit des temps. Des hommes m’ont introduit dans leur vocabulaire ne sachant pas quel sens me donner. Même certains érudits m’ont placée dans des phrases très complexes, comprises uniquement par eux, d’autres m’ignorent encore.
Je peux revêtir l’élégance de la discrétion, me glisser dans des conversations philosophiques « jusqu’à quel point nos croyances et nos pensées influencent notre vie » ou me demander « si j’ai raison ».
Emotionnellement je peux passer de la joie à la tristesse, de la stupeur à l’effroi.
Un jour lors d’une visite de cathédrale, je me suis surprise à me demander si « Dieu existe » tant ce que j’entendais et regardais pouvait dépasser l’entendement. Sur quelle vérité l’homme a pu construire l’histoire des religions, « si la réincarnation existe, et de quoi demain sera fait ». Moi Ignorante, j’étais renvoyée à mon ignorance une fois de plus. Comment l’humain comme certains sachant pouvaient ignorer leur ignorance en s’appuyant sur des contre vérités ?
Mon origine est latine, j’ai côtoyée les philosophes tels que Socrate, Platon, ai migré vers l’Asie afin d’étendre ma connaissance du langage, des cultures et sur bien d’autres continents. Ignorante j’étais, ignorante suis restée « l’ampleur de mon ignorance » était telle que je suis toujours à me demander « s’il y a un après » …la mort.
Vous voyez vous humains, je vous laisse faire connaissance avec moi, voire comment m’utiliser, mais n’êtes vous pas non plus dans l’ignorance ? Que croyez vous savoir, et que savez-vous ? N’est ce pas une illusion le savoir , « si nous pourrons nous sauver de nous même » ? « Einstein n’a-t-il pas tenté de connaître le monde avec sa formule E=MC2 ? »
J’entends déjà vos revendications, remarques et vous avez raison, oui la science a étudié le phénomène, trouvée une réponse au « comment tu t’appelles ». L’observation, l’analyse, les statistiques les hypothèses nous le montrent bien. Mais entre nous est ce la vérité, et qu’est ce que la vérité ? Connaît-il la définition de tout ? L’humain sait des choses « mais à savoir trop de choses nous donne l’embarras du choix ».
Les siècles passent, l’homme se cultive mais se connaît il vraiment, créant des néologismes, des outils, l’ère du numérique….J’ai tenté de constituer la bibliothèque de mon ignorance, sur des étagères j’ai posé celle de l’homme, le verbe, son langage et son histoire, sur la seconde, celle des religions, les guerres, le pouvoir, la troisième a accueilli les sciences humaines, la littérature, la politique, la société les arts. Les animaux, insectes se sont joints à lui, le vivre ensemble.
En cours d’élaboration sur « les secrets de l’informatique », des « think tanks », la recherche et l’espoir « l’écologie, la protection de la nature ». Je garde une étagère spécialement dédiée à l’amour, au visiter le verbe aimer, le déconstruire pour le reconstruire, étudier son mécanisme et surtout le vivre. L’étagère est stable, solide accueillante.
Un bruit dans la salle retentit, dans 5 mn nous ramassons les dernières copies. De nouveau ma fébrilité refait surface, déjà 4 heures que j’écris, des questions happent mon mental, suis-je hors sujet, ai-je bien traité l’ignorance ?
Tant pis, il est trop tard, je l’ai fait exister, c’est une personne à traiter avec respect et à écouter. Je la laisse se reposer.
Dis « Dessine moi un mouton ».
Géraldine