Hector, nouvellement retraité est bel homme. Le cheveu argenté,
légèrement ondulé, le visage avenant avec un sérieux dans ses yeux
marrons. Il marche d’un bon pas en sortant de chez lui. Ce matin il a
revêtu un pantalon de toile et un polo, il a jeté sur ses épaules un pullover
bleu marine. Au pied des tennis d’un blanc irréprochable.
Il aime ainsi prendre l’air tôt matin le long de la jetée de ce petit port où
il a loué pour le mois une petite maison. Il y vit seul, sa femme est
restée à Paris pour son travail. Ses deux enfants travaillent également,
un de ses fils est aux États-Unis et l’autre au Japon. Il ne les voit guère
et n’échange avec eux que par « mails » très rarement à vrai dire.
Il apprécie sa vie en solitaire en ce mois de juin ensoleillé.
Il s’installe à une terrasse du port pour un petit café. Il est tôt mais déjà
les marchands ambulants installent leurs boutiques. Tout en savourant
son café il imagine ce qu’il va acheter tout à l’heure pour ses repas. Des
fruits, oui c’est bon à cette époque il y a du choix normalement. Et puis
un filet de poisson quelques légumes pour faire des salades.
La place s’anime, les premiers clients arrivent avec leur cabas et
examinent les produits disposés sur les étals.
Hector finit son café, laisse l’argent sur la table. Et se laisse emporter
dans le brouhaha du marché. Il s’arrête devant un étal de fruits. De beaux abricots bien orangés, rebondis semblent à point.
Le prix est indiqué à la craie sur une ardoise. Comment ça s’indigne-t-il
15 € le kilo. Il continue son chemin en regardant de plus près les prix
chez les autres marchands. Ici il en voit à 13 € le kilo mais ils ne sont
pas aussi beaux que les précédents. La semaine dernière il se souvient, il n’en a pas acheté il les trouvait trop chers, ils étaient à 12 €.
Il revient sur ses pas et s’arrête devant celui où il a remarqué que les
abricots étaient à point.
Hector a toujours eu cette crainte de se faire avoir quand il achète
quelque chose. Une suspicion ancestrale à l’égard des commerçants.
Pourtant sa situation est confortable, sa retraite de juriste lui permet de
continuer à vivre comme avant et même à épargner. Il pourrait se
permettre d’acheter sans regarder les prix. Mais il connaît la valeur de
l’argent, il n’a pas toujours eu une situation aisée, et garde au fond de
lui le souvenir de la période des vaches maigres.
Il interroge le marchand, pourquoi le prix de l’abricot a-t-il augmenté ?
Vous savez, lui répond le marchand, ces abricots sont des « rouge du
Roussillon » ils ont une appellation d’origine protégée, ils sont cueillis à
la main, sont issus de l’agriculture raisonnée, vous ne pouvez pas les
avoir au même prix que ceux que vous trouverez dans les supermarchés. Je peux vous assurer, ils ne souffrent aucune comparaison avec un vulgaire abricot à confiture ! Cet abricot-ci est réservé au puriste, à celui qui aime le bon, qui goûte, qui savoure, qui sait apprécier en esthète le plaisir des saveurs.
Autour de l’étal se forme un petit groupe de clients attentif aux propos
du vendeur. Les gens regardent avec envie ces abricots de luxe, une cliente demande si elle peut en goûter un.
Ma pauvre dame je ne peux le permettre, ces abricots sont le caviar du
Roussillon, vous ne demanderiez pas dans une boucherie à goûter le
jambon avant d’en acheter !
Pour le coup personne ne semble intéressé par les abricots et Hector se
retrouve bientôt seul avec le marchand.
Tenez Monsieur lui dit le marchand je peux vous faire goûter ces
bigarreaux, je les vends moins chers que je ne les achète. C’est
cadeau !
Hector prend le bigarreau offert, Il a comme un flash, cette cerise le
ramène en un instant à la saveur des cerises qu’il mangeait quand il
était enfant. Il ne sait pas en définir le goût mais il sait instantanément
que c’est celui des cerises de son enfance.
« D’où viennent-ils ces bigarreaux ? »demande Hector.
« Ah Monsieur c’est mon petit secret, je connais personnellement un
producteur du côté de Ceret dans les Pyrénées Orientales. Il a une
toute petite exploitation et je sais qu’il prend grand soin de ses cerisiers.
Pour tout vous dire il s’agit d’un parent, je descends jusque Ceret
prendre les fruits pour venir ensuite les vendre sur la côte ouest. Cela
me fait plusieurs kilomètres mais c’est une assurance de vendre de
bons produits. Ils vous plaisent je vois. »
Convaincu, Hector achète des abricots, des bigarreaux, un melon et
paie le tout sans broncher encore ému de ce souvenir d’enfance.
Il s’enquiert auprès du commerçant : »vous êtes régulièrement dans ce
marché ? Si jamais il me vient l’idée de reprendre de vos fruits, je vous
trouverai ici ? »
« Je ne peux guère vous l’assurer, je suis un peu vagabond. Pour moi
l’âme de mon métier n’est pas dans la routine. Alors je vais ici ou là en
fonction de mes envies. Je vis dans mon camion, totalement indépendant. »
Hector ressent comme un doute, les propos de cet homme ne lui
semblent pas vrais. Il le quitte sur cette impression. Il est impatient maintenant de rentrer chez lui. Il s’installe dans le petit jardin attenant au domicile avec ce désir de retrouver la sensation ressentie à goûter ce bigarreau. Il en prend un le regarde, oui il a une belle couleur rubis, il croque dans la chair parfumée, un peu de jus gicle sur son menton. Il ferme les yeux, il savoure cet instant.
L’image de lui enfant, lui revient. Ce sont les vacances, il est chez ses
grands parents dans le village de Reynès. Ils y ont une maison qui
domine la vallée du Tech. Cela fait longtemps qu’il n’a plus songé à
cette période de vacances. Cette maison comme un havre de paix et de
liberté. Et ces cerises il s’en souvient. Son grand-père lui a raconté que c’était son propre père qui avait planté un cerisier, il avait à partir de greffons,créé une nouvelle variété. L’arbre se trouve au milieu du jardin. Pendant les chaudes journées, on installe tables et chaises pour déjeuner à l’ombre de ce bel arbre. Il adorait quand c’était le moment de cueillir les cerises, il fallait monter dans l’arbre par l’échelle appuyée au tronc. Et ensuite de branches en branches atteindre les fruits mûrs, il se sentait empli d’une mission importante et était fier de redescendre avec son panier rempli de cerises. Son grand-frère délaissait pour l’occasion ses lectures et participait avec lui à la cueillette. Là-haut dans l’arbre ils s’amusaient à cracher les noyaux, visant la tête de grand-père qui faisait la sieste. Il entendait encore sa grand-mère crier faîtes attention de ne pas tomber les garçons, soyez prudents.
Et puis il y avait aussi les clafoutis que cuisinaient sa grand-mère, il la
suivait dans la cuisine, attentif aux préparatifs, prêt à lécher la cuillère
de la préparation. Que de souvenirs de saveurs !
Il revoit ses parents descendre enlacés au petit matin, joyeux et
souriants. Ses parents, ils n’y restaient qu’une quinzaine de jours, ils
lissaient ensuite leurs fils aux soins des grands parents. Ils devaient retourner au travail à Paris.
Ému par ces souvenirs, Hector a soudain envie de partager cette
émotion avec sa femme. Mais c’est trop tôt, elle est encore au travail, il
ne va quand même pas la déranger pour cela. Il l’appellera dans la
soirée. Il reprend encore quelques cerises et toujours ce plaisir, cette petite note acidulée en final pour mettre en valeur la douceur du fruit.
Il se décide à faire une sieste dans la chaise longue sous le parasol.
Il se sent extraordinairement bien, et ne tarde pas à s’endormir.
Il conserve ce sentiment de plénitude à son réveil. Il s’étire et se lève, il
va profiter d’être en si bonne forme pour aller faire une balade le long de
la mer. Le soleil est encore haut, la mer brille de reflets argentés. Au loin il devine quelques voiliers. Le chemin serpente le long de la côte. Il
marche dans l’odeur de l’ajonc chauffé au soleil, il longe des champs de
fougères au dessus desquels se révéle le ciel bleu.
Il croise quelques marcheurs qu’il salue d’un hochement de tête.Il ne
cherche pas particulièrement à créer des liens avec qui que ce soit, une
certaine timidité peut-être en tout cas une grande réserve vis à vis
d’autrui. Au détour du sentier, un chien arrive vers lui, il s’arrête, il ne fait guère confiance à la gent canine, souvenir d’avoir été mordu. Mais le chien gambade autour de lui en remuant la queue. Il est tout noir avec autour de l’oeil une tâche blanche. Cela lui donne un air malicieux. Le chien semble vouloir jouer, il se frotte à ses jambes puis s’assoit sur son
arrière train devant Hector. Machinalement celui-ci lui gratte la tête. Puis
il reprend sa marche le chien sur les talons, apprivoisé semble t-il.
« Hector viens ici ! » Hector se retourne et voit une dame en survêtement et tennis qui chemine derrière lui.
« Excusez-moi Monsieur, j’espère que mon chien ne vous a pas
importuné, il est jeune et j’ai du mal à me faire obéir. »
« Vous l’avez appelé Hector, c’est drôle c’est aussi mon prénom »
La dame rit : » Quelle coïncidence, vous êtes faits pour vous rencontrer.
Moi c’est Béatrice, je devrai le tenir en laisse mais il a tellement besoin
de se dépenser et de courir ».
« Je crains un peu les chiens mais votre Hector semble affectueux et
gentil »
« C’est un chien sympathique mais je ne crois pas savoir très bien le
dresser convenablement. Vous allez vers le port ? »
« Oui je finis ma balade »
« Ça ne vous ennuie pas que l’on rentre ensemble ? »
« Non pourquoi pas »
Ils marchent ainsi tranquillement, en devisant de choses et d’autres, de
la beauté du paysage, de la tranquillité de l’endroit. Curieusement
Hector se sent réjoui de bavarder avec Béatrice.
Ils arrivent au port. « Je vous quitte ici dit-elle, ma maison est juste là face
à la jetée. On se reverra peut-être. »
Hector regagne tranquillement son domicile, heureux de cette
rencontre. Il pense appeler sa femme mais il n’en a plus envie, il préfère
être seul à se remémorer cette journée. Le miracle des cerises se dit-il.
Il se réveille le lendemain, frais et dispos. Il prépare le café et en
attendant qu’il passe, il prend une cerise dans la corbeille où il avait
disposé les fruits. Stupéfait, il se rend compte que les fruits sont tous
abîmés presque pourris pour certains d’entre eux. Ils sont immangeables.
Il se refuse à croire que ces cerises puissent avoir passé si vite. Elles
étaient si belles hier. Il sent une colère monter en lui, le marchand se dit-il n’avait pas l’air si
honnête, j’aurais du m’en méfier, avec tout son baratin je me suis laissé
avoir. Il s’en veut d’avoir été si naïf, emporté par ce souvenir des cerises
de son enfance.
Mais comment les cerises si bonnes hier étaient-elles devenues
immangeables, comment avaient-elles pu pourrir aussi vite ?
Hector veut comprendre. Il sait bien que les fruits de saison ne se
conservent pas très longtemps mais quand même.
Il faut qu’il retrouve ce marchand. Sera t-il au marché ce matin ? Il doit
vraiment lui dire son fait et au demeurant se faire rembourser. Il
n’accepte pas d’être pris pour un pigeon.
Très rapidement il arrive sur la place, le marché démarre tout
doucement. Il en fait le tour mais pas la moindre trace de son vendeur.
Comment retrouver ce marchand ? se demande t-il. Il interroge les autres
vendeurs, connaissent-ils ce marchand de fruits ?
Mais personne ne peut le renseigner. Il se sent terriblement triste et las,
comme si cet homme avait piétiné ses souvenirs d’enfant. Il lui en veut
terriblement. Dépité il se résigne à rentrer chez lui. Il reconnaît Béatrice à l’étal du
poissonnier. Ils se saluent comme de vieux amis, et se décident à
partager un café à une terrasse.
Suite à écrire..
Hector raconte sa mésaventure à Béatrice, lui raconte ses souvenirs
d’enfance Ils vont partir pour revoir la maison des grand-parents
Voyage et début d’une amitié La maison est en vente
Ils vont retrouver le marchand
Hector veut acheter la maison
Le mystère des cerises pourries sera-t-il éludé ?