Mots anciens

DSC00823Voici  des textes écrits avec le vocabulaire du dictionnaire des mots anciens.  Une recherche de sens  avec des mots oubliés, qui surprend dans chacune de ces histoires !

 

 

 

 

 

 

Puisqu’elle insistait hab oc et ab hâc, impossible de la comprendre ni de la raisonner, il décida sous une colère bleue de signer son document ab irato. Ils habitaient depuis une dizaine d’années dans un petit village nommé « Les adrets », puisqu’il se dressait sur le versant ensoleillé de la vallée. Le soleil y était tout aussi présent que la foule, le jour de marché. La maison était sise non loin de la place de « l’Agora » qui accueillait le marché. Ce choix leur avait permis de goûter à la douceur, l’amanité dans ce coin de la Région. Les soirs d’été, les bastringues donnaient une ambiance si joyeuse, qu’il était impossible de ne pas se mêler à ces bals populaires.  Il était fréquent de recevoir après la danse les blandices de son cavalier ! Que de blondins en recherche… A croire que ces bals pour certains représentaient un boccan…où les villageoises se
prostituraient… Depuis plusieurs semaines, elle arrêtait ses activités pour écouter chanter, sous sa fenêtre ce cantadour. C’était devenu son chalin de la journée, il réchauffait son cœur. Parfois elle descendait pour admirer son coqplumet chanter et lui offrir quelques pièces.
Dans leur maison, le desamour se fit ressentir. Leur quotidien devint de plus en plus discole, tout devenait difficile. Elle devint dolente, et lui ne comprenait plus de quoi elle souffrait. Au bout d’un certain temps, il comprit que le chanteur au beau costume avait embeliné son
amoureuse aux ephelides, ces tâches de rousseur qui illuminaient son visage. Il ne voulait pas la perdre et s’il avait pu escoffier ce cantadour avec un estramaçon, il l’eût fait. Il ne supportait plus cet odeur de farigoule, cette eau de toilette parfumée au thym que l’artiste de rue avait partagée avec elle. Il ne la reconnaissait plus. Elle se disait de plus en plus que cette rencontre était fatuelle et que le destin l’avait
envoyé sous sa fenêtre. Lui, pensait que c’était une gaudisserie, une plaisanterie de plus et qu’elle ne le quitterait jamais pour ce gavache de rue sans honneur.  Mais les jours passaient et elle lui offrait des haguignetes pour le récompenser de son hommée de la journée. Elle l’encourageait à rester chanter sous sa fenêtre. Sa jupe se souleva sous l’effet de l’Issero, ce vent méditerranéen si agréable lors de fortes chaleurs. Toutes les jacasses du village commençaient à imaginer la suite de l’histoire entre le cantadour et la jeune femme. Elle partageait avec lui du kummel dans de jolis petits verres à liqueur. Elle adorait ce goût de cumin et lui aussi. Lorsqu’il s’aperçut qu’elle allait le quitter, il aurait aimé avoir une certaine lénité vis à vis d’elle. Mais impossible d’être indulgent. Ce jour là, tel un libretto récité avec ardeur, elle lui ordonna de signer.
Tout cela pour ce mâche -laurier, ce poète des rues. Plutôt un malegripe, voleur de femme….sacré malévole. Il aurait dû se douter de ses mauvaises intentions au fil des jours. Elle avait été séduite par ce matamore…que d’exploits lui avait-il évoqués …elle le croyait telle une méchine, elle qui pourtant n’était plus une jeune fille candide. Elle avait déjà èté malmenée par un merdefin, ce médecin qui l’avait presque ruinée. Cet
homme avait été néphande, horrible avec elle. Il en était sorti nicor, vainqueur de son stratagème. Il l’avait obérée …tant de dettes qui faillirent la détruire. Il se trouvait face à un orval, une tempête terrible sous son crâne.. Il imaginait ce poète se panader dans les rues avec son épouse, fier comme un paon. Plus aucun remède parégorique, il ne pouvait retrouver le calme. Il se considérait pénisson, si sot d’avoir pensé que ce n’était qu’une pétoffe, une petite affaire. Il n’avait qu’une envie : pétuner encore et encore tabac ou cannabis pour se détendre
et en rire…Pendant qu’elle se mettrait à pimpenauder, tellement elle serait étonnée d’avoir son document signé. Il y était noté qu’elle perdrait ses sontises, elle se fichait bien maintenant de ses biens propres. Sa femme le quittait pour ce tabarin, ce bouffon. Vite un verre d’usquebac, le seul whisky qu’il dégustait depuis leur voyage de noces en Écosse. Dorénavant c’est sans lui qu’elle ferait le marché avec sa petite vannette dans laquelle elle posait délicatement les fleurs qu’ils choisissaient ensemble. Il ne pourra plus l’admirer le matin se saupoudrer de veloutine, et sentir sur ses douces joues l’odeur de la poudre de riz. Ils ne s’étaient pourtant pas mariés à la venvole, elle voulait être sûre d’elle avant de
s’unir. Il était abandonné, cédé à son propre destin, un werp. Il ne voudrait plus entendre chanter cet homme sous sa fenêtre : voter la xenelasie
uniquement pour ce bouffon étranger à leur village. L’éloigner de la place où la yeuse lui donnait de l’ombre les jours de grande chaleur.
Ce magnifique chêne vert où lui pourrait retourner. Ne plus voir ce bouffon, ce zani qui a attiré sa femme.  Karine

 

Au village
— Hallelujah, hallejuha, repentez-vous mes soeurs et mes frères. Le temps n’est plus à la  hâblerie ni à la vénération de vos statuettes mais à la prière d’un seul et unique. Ressaisissez-vous. Hagard, il traversait les campagnes et criait à tue-tête des phrases qu’il avait tirées et déformées d’une hagiographie. Le moine hagiorite longeait les hagues de notre village, recevant les haguignètes que les plus aisés d’entre nous lui lançaient par pitié. Il portait une haire, qui devait lui écorcher la peau mais qu’il endurait pour soi-disant racheter nos péchés. Un vol d’halbrans dessinait un V au-dessus de nos têtes, ce que certains prirent pour un signe du ciel, craignant qu’il ne leur tombe sur la tête. Il s’arrêta à ma hauteur et je sentis son halenée de vin. Après une nouvelle descente de sa gourde dans le gosier, l’hallebreda poursuivit son discours moralisateur. — Vous les hallefessiers, repentez-vous si vous ne voulez pas que la colère du ciel s’abatte sur vos familles. Un jeune garçon, armé d’un lance-pierre, jaillit d’un hallier et lui envoya un caillou pour le faire taire. Il avait une veste en peau verte et marron, ce qui me fit penser à une hamadryade tout juste sortie des bois avec ses grands yeux malicieux et son sourire lui mangeant le visage. Je lui étais reconnaissant d’essayer de mettre un terme aux prédications de cet happechair de moine, qui ne cherchait qu’à manger et surtout boire à l’oeil tel un happe-lopin, car ce soir nous allions faire bombance et la réputation de notre festin s’était répandue de village en village. Le garçon rejoignit une grande haquenée perchée dans un haquet, sa mère sans doute, et je les vis tous deux poursuivre leur chemin. Puis, le harder arriva avec ses bêtes. Quand il vit ce qu’il se passait, il nous apostropha. — Vous n’avez pas honte d’écouter ce malfrat. Je lui planterais bien mon hast dans les
flancs tiens, ou lui torderais son hasterel jusqu’à ce qu’il s’étouffe. Il continua à haussebecquer le moine qui commençait à changer de couleur et à devenir aussi hâve qu’une oie mal nourrie. Tout le monde se mit à rire. Notre hégoumène, sentant le vent tourner, accéléra le pas vers la sortie du bourg. L’heimatlos coupa à travers les champs d’hélianthes sans se retourner. Il ne savait que trop bien ce qu’il encourait. Nos hommes étaient robustes et s’emportaient, la deuxième  cervoise engloutie. Au loin, le soleil se couchait et Hesper brillait timidement. Les villageois allaient se retrouver une fois de plus autour d’un banquet bien arrosé, loin des discours hiératiques des prédicateurs hircins qui foisonnaient ces derniers temps et hognaient des malédictions entre leurs dents s’ils ne trouvaient pas le gîte et le couvert. Un hôlement résonna dans l’obscurité. Des paysans rentraient de leur hommée, leurs houes sur les épaules. L’hourvari d’un début de fête les accueillit. Le tableau était haut en couleurs : huitante convives attablés, des buffets ornés de hures, un chanteur trop hypnagogique mis de côté, le tout dans un concert de harpes celtiques, binious et vielles, de quoi inspirer le dessinateur que j’étais. Laure

 

LE MERDEFIN
Quel merdefin celui-là, ce n’est pas lui qui aurait pu tester la mère goutte de ce délicieux hydromel !
Debout sur ma yole, mon youyou plutôt, car c’est une sorte de plate qui me vient de mon grand-père et me sert à rejoindre mon canot, je repense à mon rendez-vous avec ce drôle de médecin.
« Vous devriez arrêter l’hypocras » m’a-t-il intimé au milieu de la consultation. De quoi il se mêle ?
Si j’avais eu une zagari, je la lui aurais fourrée en plein coeur !
J’allume une cigarette tout en godillant vers mon bateau ancré au milieu de la rivière. Sur la rive, j’aperçois un cheval zain dont la robe brille au soleil comme de la soie. Il galope sur les zamées des pins maritimes dispersées sur le sol lors de l’orage de cette nuit. On dirait un zani qui danse le zapatéado ; ses sabots butent sur les pommes de pin et font plier ses pattes en cadence.
En tirant sur ma cigarette, je repense à ce rendez-vous : je n’en donne pas un zec de ce charlatan de merdefin ! Si j’étais zéleur, je l’accuserais de zélotisme et il finirait au cachot ! Trop de zèle nuit à la bonne santé, j’ai lu ça dans le Zend Avesta ; il y en a des pensées là-dedans, on trouve toujours celle qu’il nous faut. Ça m’intéresse plus que la zététique, je suis nul en maths.
Mais je ne renoncerai pas à mon hypocras, ni à mon youyou, ni à ma cigarette, ni à ma Zézette. Voilà que je fais des zeugmes sans en avoir l’air…
Une fois sur mon bateau, tout en mettant le moteur en route, je sifflote cette chansonnette que j’ai dans la tête depuis ce matin, comme souvent : « Quand ma Zézette zozotte, ah ce qu’elle est rigolote, pour dire je elle dit ze, z’ai manzé à dézeuner…… ».
Zézette c’est ma nana à moi, elle est belle comme un soleil ! Au début, je trouvais ce prénom idiot, mais il me plaît maintenant. C’est une Zingari, elle porte toujours des robes couleur zinzolin et quand elle danse, on dirait un feu de joie.
Ce merdefin, il devrait s’ occuper de zooïatrie, soigner des bêtes au lieu des hommes ! Il serait plus à son affaire. D’ailleurs dans son cabinet, j’ai vu des zoolithes dans une vitrine et une affiche de zootaxie nous accueille à l’entrée. Les animaux l’intéressent plus que les hommes, c’est sûr !
Arrêter l’hypocras !! Ma vie sans ce nectar défile devant mes yeux comme dans un zootrope : matin triste, après -midi dans la grisaille, soirées sans but, solitude…Hors de question.
L’ odeur persistante de zopissa me soulève le coeur, j’ai du en mettre un peu trop sur la coque. Il va falloir que je vois ça. Ca partira peut-être avec de l’acide zymique. Je demanderai à Zézette : la zymotique, moi j’y connais rien. Soize

 

 » l’ amour en mer  »

Ils ont quitté la Bretagne et ses ABERS  munis d’ un  ABERGEAGE  pour passer l’ octroi et ABUTER  leur camping-car dans les cales de  l’ ACCON Ils allaient tenter de nouvelles accordailles . Oh !  une  ADALIE  venait de se poser sur  le pare-brise  – passager clandestin – joli présage, la chance s’ invitait au voyage … ADIEU-VA  vient de crier le timonier du bâtiment . Le commandant était un de leursAFFIDES  …. tous ces signes étaient de bonne augure . Quoique souffrant  d’ ALOPECIE   cet homme était fort aimable  et sans  AMBAGES . il les mène à leur cabine couleur, AMARANTE  … Ils allaient jouir de son AMENITE . C’ était sans compter sur  AMPHITRITE  toujours à l’ affût d’ un vent contraire . d’ une vague réfractaire … Sur le pont, appuyée au bastingage, elle ressemblait à une gracieuse BACHELETTE . Voulant séduire son compagnon elle avait apporté dans ses bagages, une BALALAÎKA…. elle l’ avait dissimulée dans la BANCASSE  de leur cabine …et soigneusement replacé les BOBECHES  sur les chandeliers . La mer , jusqu’ alors grande BONACE   se mit à  CABANER  emportant avec elle tous ses rêves de joyeuse et amoureuse traversée. Et lui, de son côté n’ avait il CHATONNE  une pierre précieuse ….. L’ un en face de l’ autre … tant bien que mal, plutôt mal … tentant  la CHIRONOMIE Ils prirent le parti d’ en rire . La CICURATION   s’ imposait à eux . Ennivrés des effluves émanant d’ herbes aromatiques  »  Ô myrrhe, Ô CINNAME ,  Nard cher aux époux  » … Victor Hugo – Betty

 

Un jeune ours abalourdi, ne se sentant pas dans son milieu naturel, se dirigea sous une abaque qui formait le haut de la porte du château.  Il avait été attiré là, par des abat-faim qui étaient posés sur une table.  C’était comme son abator, héritage des maîtres de maison.  Il se mit à crier de joie et les abat-sons constituant le toit du beffroi, lui renvoyèrent un tel vacarme , qu’il fût effrayé et se prit les pattes dans les abattis constituant les fortifications.  C’était comme s’il avait voulu faire une bacchanale, car ses pattes s’agitaient dans tous les sens et il hurlait.  Le tableau était d’autant plus comique qu’il tenait dans la patte droite, «  la dive bacbuc » qui avait aussi été posée sur la table. Un peu plus loin, s’étendait la bachasse sur laquelle un frêle esquif s’était cabané. Deux marins cabassaient debout, à côté ; ils portaient leur cabasset sur la tête et manipulaient le cabestan.  Il y en a un qui s’est écrié : « Je ne suis pas le dabo de la compagnie ! »  L’autre marin portait une dague à sa ceinture.  Il fit mine de vouloir s’en servir et l’ours arriva daguet,  tenant  une  dail qu’il avait vue à la porte du château. Le marin à la dague fût ébaudi, et l’autre marin en réaction, devint ébaudi car ce manège de l’ours l’avait rassuré.  Son humeur devint faconde.  Un facteur qui passait par-là, se mit à jouer du clavecin qu’il transportait dans une charrette, tirée par un cheval. Cela ressemblait à une gabegie, tellement cela semblait irréel ! Anne J

 

 Adolphe

Adolphe entra dans la pièce pour s’expliquer avec Madeleine. Pour ne pas être abscons, Adolphe décida de faire preuve de répartie :
– Je suis accoisé maintenant, nous pouvons discuter ma chère il est temps.
– De ce fait, j’accepte. répondit-elle
– Je suis brutal et agressif oui. Je le reconnais. Mais j’essaye de me châtier…
– Il y a encore du travail Adolphe !
– Je le sais, mais il est difficile de s’amender sans reconnaissance Madeleine ! lui expliqua-t-il
Adolphe s’approcha auprès d’elle en la regardant de manière aconché. En lui prenant la main.
– Je te fis l’acréantement de continuer mes efforts, seulement toi tu dois me dire les choses quand elles doivent être dites non pas quand le vase doit être vidé ma chère.
– Je trouve que c’est babelé, je n’aime pas les hostilités voilà tout.
– C’est bien accommodant pour toi, mais accepte qu’un émoi ou une perception est différente par une autre personne. Aucun être humain ne donne licet à un conflit, on cherche tous à le bannir. Parfois une bonne altercation est souvent plus bénéfique que des non-dits. Nous avons tous notre perception des choses et nous traduisons tous ce qui nous est dit au travers de différents filtres qui nous est transmis au cours de notre vie. Tu estimes ne pas vouloir t’embêter avec des conflits, j’estime qu’il est mieux de m’exprimer librement pour me sentir vivant sans avoir aucun regret dans ma vie. Dans ta vie tu n’auras pas eu de conflits mais moi je me serais sentis vibrer en m’exprimant librement.
– Je m’en vais Adolphe.
Madeleine attrapa sa manteline et se dirigea vers la sortie de l’ostal. Elle s’éloigna peu à peu.
Il décida de la regardait au loin, avec d’un geste de la main elle le regarda à son tour avec insistance. Il comprit avec son regard, que pour elle son discours était que pataflerie.
Adolphe resta dehors quelques minutes afin de contempler le zinzolin du soleil couchant derrière les collines.  Margaux Vola

 

– Un cerf est passé par là il y a peu de temps.   On les reconnait à ses abattures toutes fraîches encore.

– Abbatures?

– Des fougères se sont brisées sous l’animal. Et sur le sol, reconnais-tu les marques de ses sabots? Observe mon fils. Que vois-tu encore ?

– Il semblerait qu’il y ai au moins un cerf ou d’autres animaux car ils ont abrouti tout autour également.

– Et sur les arbres :  des traces de lichens dévoré.

J’ai 19 ans et c’est la troisième fois de toute mon existence que mon père m’amène avec lui. Entre deux grandes fougères je reconnais l’acanthe, là de l’ache. Et plus loin une plante Aconit. J’ai comme une envie de sortir mon calepin de ma sacoche et de dessiner.

– chute, murmure mon père, écoute.

Je marche par inadvertance sur des brindilles qui craquent sous mes pieds.

– chuuuute, répète mon paternel, avec un air portant à admonition.

Diantre!  Mon vieux français me revient petit à petit depuis que je suis de retour.

J’ouvre mes deux oreilles, je fais semblant, car voilà que je distingue une adalie, ou plus précisément Adalia bipunctata, coccinelle à 2 points.

Je souris intérieurement. Elle apporte de la poésie à cet instant fatidique où mon père brandit son archet et tire. Ça fend l’air dans un bruissement léger.

Soudain, des cris d’un animal qui se meurt.

– nous allons avoir du lapin ce soir fils!

Autour de moi, je perçois des arômes floraux, le cri rauque du geai, le bourdonnement d’une abeille. Je sens les feuilles humides, la rosée d’herbe, l’humus de la terre après l’ondée d’hier.

Et une vie en moins.

Mon dieu, qu’en diront les nymphes de ce sous-bois   ?

A étudier les plantes, à arpenter les champs, la forêt, j’ai rencontré des guérisseurs et guérisseuses, des fées et des sylphes, des génies et des nymphes, et peut-être même des korrigans …

La partie de chasse s’est terminée avec une certaine réussite, trois lapins, un sanglier.

Nous revenons à notre demeure. Le personnel domestique a fait dresser la table, la cheminée immense attise la convoitise du feu qui crépite gaiement. Témoin d’un riche passé de chevalerie, notre blason de famille rayonne dans un reflet rougeoyant. Même notre amphistère  semble prêt à se détacher de son écu et à s’envoler.

Arrive ma mère. Nous éviterons soigneusement ma vie à Paris qui fâche encore mon père. C’est que j’ai volé la place de mon frère …  Et dérangé l’ordre hiérarchique de la fratrie. Bah, mon frère m’en a même remercié, libre de faire enfin ce qu’il veut.

C’était il y a des années de cela, quand j’étais jeune encore. Et que le manoir ronronnait de vie présente. Depuis tout s’est éteint. C’est une amie qui m’incita à faire des recherches. A force de m’entendre douter de la véracité des histoires de ma famille.

 – Je te mets en contact avec un généalogiste, il connaît bien la région, les techniques archivistique, l’étymologie des noms.

Hélène rajoute : – il est très occupé, il se propose de te contacter directement, transmets lui ton numéro de téléphone et si jamais cela tarde,  appelle donc sa secrétaire de bureau! Sur un bout de papier, elle  inscrit deux numéros de téléphone, je le range aussitôt dans mon portefeuille. Nous trinquons voluptueusement à notre fin de semaine. Tous les deux attablés sur une terrasse de café, à l’ombre, sous les arbres. Trois jours plus tard, je reçois l’appel du généalogiste. Nous convenons notre rendez-vous pour demain, en début d’après-midi. Je décris succinctement la raison de ma demande : doute sur l’origine de ma famille après lecture de documents – certains que je n’ai pas réussi à traduire – souhait de mieux comprendre le symbolisme de mon blason et mon nom de famille. Je précise : du manoir qui a brûlé, j’en ai récupéré une vieille malle et ses documents avec. Trésors de papiers.  Le jour dit arrive. Je me gare dans une rue déserte, empreinte un trottoir très en pente, bordé de maisons en colombage. Entre deux maisons, je trouve une porte  en bois de chêne huilé, sur laquelle une poignée avec une gueule d’ange. Je pousse la porte. Un bourdonnement de vie et de voix m’entoure, le bar est au fond de d’une pièce basse sombre, éclairée par des dizaines de petites lampes. Les clients peuvent s’assoir autour de tables en bois sombres également. Le barman s’active, sert,  sourit, discute, c’est un gringalet immense, cheveux noir et long, yeux bleus perçant. La salle n’est pas encore pleine, mais les gens sont bien là. A cette heure, c’est étonnant pour cette petit ville.

A ma droite, je distingue un groupe cosmopolite et de curiosité, je tends l’oreille :

– Ça te va bien ce Bousingot.

– Je ne vais pas prendre de quatre-heure aujourd’hui! J’ai eu une belle bradypepsie hier soir!

– Il y avait une de ces brouées! J’ai failli me perdre !

– Et au port, j’ai échangé avec un vieux marin qui m’a parlé pour la première fois des  bugalets.

– J’ai une cabalette dans ma tête depuis notre soirée d’hier soir! Cette chanson me revient sans arrêt ! C’est d’un pénible !

J’en ai la tête qui tourne, parlent-ils en patois? Ce n’est même pas du breton!

 Certains termes me rappellent bien quelque chose. Mais peut-être que je commence à devenir dur d’ oreille?

Je m’adresse au barman : excusez-moi, je cherche Monsieur Surette s’il vous plais.

– Hé! Thomas! Quelqu’un te cherche!

Un homme veste brune, jeans bleu et chemise blanche, se détache du groupe,

– venez, venez Monsieur, bienvenue!

Je rejoins le groupe, leur langage me donne le tournis. Je n’y comprends rien.

Devant mon expression désappointé, le généalogiste sourit, peut-être même qu’il rit, bien qu’il tente de se retenir.

– Bienvenue Monsieur Bonavolie ! Ne vous inquiétez pas. Je retrouve ici chaque après-midi mon association de défense des mots anciens et oubliés !

J’ai comme un coup de fouet au coeur, ça me fait comme un retour en arrière. Je réentends mes parents et les domestiques parler de mots dépassés, exaspérants. Avec tout de même un vocabulaire qui se limite à leur environnement rural, bourgeois déchu et du quotidien.

– Et il n’y a pas que de vieux croutons ici !

Je me fais la remarque qu’effectivement, lui même doit avoir tout juste la trentaine d’année.

– tenez, le jeune homme là bas est un slameur . À côté de lui, un marinier. Et plus loin, un architecte. Ah oui, voici un cuisinier. Tous réunis par une anecdote autour de mots qui nous aura donné envie de nous réunir ainsi. Moi même …

Cependant le généalogiste se tait d’un coup. Pris de remords, il s’excuse.

– Pardonnez moi, je vais vous ennuyer, je m’égare. J’ai des informations à vous transmettre sur votre nom.

– Asseyons-nous, voulez-vous un verre? Une boisson? 

Je commande une bière. 

Et le généalogiste reprend : 

– bien, tout d’abord … votre nom de famille provient d’un vieux français, avec une lettre seule disparue,   .. « Bonavolie », issu de Bonavoglie. C’est à dire « Homme qui se louait pour tirer la rame.». Mot italien.

Je fronce les sourcils.

Votre blason enfin. Je vous ai laissé une note écrite à ce sujet.

Un rameur qui aurait accosté ainsi sur les côtés bretonnes, ne peut être d’origine aristocrate, nobiliaire, riche. Comment un simple marinier aura pu accéder à la vie d’un aristocrate ou bourgeois. Volage? Mariage? Service récompensé? Soudain, me revient en mémoire une anecdote racontée par ma mère qui affirmait avoir eu un lieutenant de la marine dans la famille .. Mon imaginaire s’envole mais je n’ose aller trop loin dans les hypothèses. Je tends au généalogiste une chemise cartonnée et bouclée par un ruban en tissus : mes précieux papiers de famille. Des réponses peut-être à l’intérieur. Je crois ré-entendre mon père parler, ma mère chantonner. J’étouffe. Je prends congé du généalogiste, je me retrouve à l’air libre avec à nouveau mon propre présent. Je me sens léger comme presque libéré. Pourtant je serres précieusement les quelques pages transmises par Monsieur Surette. J’ai hâte de connaitre enfin le fin mot de mon histoire familiale. De tirer un trait peut-être sur mon enfance disparue dans les flammes du manoir.  Anne C.

 

Etonnant voyageur

Je m’appelle Arthur, j’ai trente ans et je suis né en 3020. En compagnie de mon équipe, je voyage dans le temps. Après de savants calculs, nous avons découvert une faille spatio-temporelle, dans le bois de Vincennes. Depuis peu, avec mon groupe de recherche, nous avons décidé de nous pencher sur l’homo smartphonus. Certes, nous aurions pu choisir le futur, la conquête spatiale, participer à la terraformation de Mars. Mais nous réalisons à quel point étudier le passé est important. Nous avons donc déjà effectué plusieurs retours en arrière pour contribuer à approfondir nos connaissances sur l’histoire de
l’humanité. Cette fois-ci, nous avons réussi à nous stabiliser en mai 2020. Nous avons été propulsés sans nous abalourdir. Nous avons adopté des tenues à la mode. Je porte un jean et un t-shirt floqué d’une grande marque, des baskets très confortables. Quel dommage que je ne puisse les emporter dans le
passé. Ô combien j’avais souffert avec mes sabots lors de mon séjour en 1871 ! À ma naissance, le transhumanisme avait déjà profondément modifié l’espèce humaine. Pour le meilleur et pour le pire. L’espérance de vie s’est allongée, l’homme est théoriquement plus beau,plus fort, plus intelligent. Je suis l’un de ces hommes augmentés, un homo augmentus. Grâce à la thérapie génique, nous avons éradiqué de nombreuses maladies. La population est autorisée à
changer génétiquement ses particularités physiques comme par exemple la couleur de ses yeux. Pour ma part, j’ai opté pour des yeux vairons, un bleu et un jaune, comme ceux de mon chat. De mes voyages, j’ai rapporté bien des souvenirs, mais aussi quelques problèmes d’adaptation : j’ai tendance à m’imprégner des accents et du vocabulaire des époques où je réside. Je viens de passer un an au XIXème siècle à étudier l’homo sapiens et je suis parfois un peu abscons, abstrus, pour mes contemporains. Qui plus est, il semble que nous soyons tombés en pleine période de pandémie, il est donc peu aisé de s’accointer avec l’homo smartphonus car il observe une distanciation physique et porte un masque qui lui cache le bas du visage. Adonc, mes collègues et moi adoptons les gestes barrières pour nous fondre dans la foule. L’époque n’est pas vraiment à la joie et à l’alacrité, c’est la crise. Dans la rue, l’homo smartphonus quand il lève les yeux de son portable, n’est pas toujours très aimable avec moi. Il est pressé et déclare ne rien comprendre à mes amphigouris. De plus, certains vivent seuls, retirés du monde, comme des anachorètes. Difficile de les approcher. Les voitures ne sont pas encore autonomes et l’homo smartphonus conduit parfois en téléphonant :
j’ai l’impression de vivre dangereusement. Il se laisse guider par la voix suave de son GPS qui n’est pas encore parfaitement au point et peut le conduire dans des impasses ou dans des champs. Je m’attire l’animadversion des policiers lorsque j’oublie de regarder avant de traverser. Ils ne comprennent rien à mes apories et à mes arguties, plus d’une fois j’ai failli être emmené au poste. Je m’efforce de rester stoïque, d’atteindre l’absence de tout souci, l’ataraxie, comme disent les
philosophes, même si ce n’est guère facile. Les rames bondées du métro ne sont pas non plus propices au détachement. J’ai été adopté comme homme à tout faire par une famille parisienne. L’homo smartphonus a gardé des caractéristiques de l’homo televisus. Il regarde son écran de télévision, en pianotant sur son
smartphone, qui lui sert à tout : photos, internet, mails, journaux, musique, réseaux sociaux, jeux, radio, réveil, boussole, GPS, prise de notes, agenda, dictionnaires, traducteurs, lampe torche …et même téléphone. À la télévision, j’ai pu voir de très bons films, des documentaires intéressants, des concerts de
biniou mais aussi des bisbilles entre amoureux dans des bluettes innommables. Les programmes, d’une manière générale, me paraissent plutôt ineptes et j’ai passé des heures, hypnotisé par des chaînes diffusant des infos en continu, en attendant qu’il se passe quelque chose. Les abonnés à la plateforme Netflix semblent plus assidus que les autres. Ils font ce qu’ils appellent du « binge-watching » , anglicisme désignant une consommation intensive de séries télévisées.
L’espèce que nous étudions occupe en général ses journées à travailler, à tout le moins jusqu’à la retraite. Certains ont la chance d’avoir des loisirs ou des activités artistiques. Ils se divisent en plusieurs catégories, allant du plus sportif au plus sédentaire ou casanier. Mais nulle excuse pour ne pas sortir en ce moment, le temps est radieux, il fait vingt-six degrés. L’homme n’a pas encore réglé les problèmes de météorologie, c’est même l’un de ses sujets de
prédilection. Tandis que je me promenais ce matin sur les Champs-Élysées, un monsieur m’interpella à l’arrêt de bus :
— Le temps est au beau fixe !
— Oui, le ciel est céruléen, lui répondis-je
Il cessa de me parler, l’air chafouin, j’avais encore dû gaffer, sacré vocabulaire ! Une jeune femme qui attendait elle aussi l’autobus, dont je devais apprendre plus tard qu’elle s’appelait Eva me demanda d’où je venais. Sans pouvoir lui expliquer que je traversais les siècles, je lui répondis aimablement que je venais de loin. Elle s’étonna que j’aie pu parcourir plus de 100  km en ce moment, mais elle m’invita à dîner dans sa banlieue.
— Je suis heureux d’être votre commensal, commençai-je. — J’aime accueillir les étrangers de passage, m’avoua-t-elle, en minaudant.
— Sans controuver la vérité, la conurbation est charmante, la félicitai-je.
La docte demoiselle m’inculqua, en peu de temps, un savoir irremplaçable sur les habitants. Puis nous allâmes voir la Seine, aux ravissants reflets bleu-vert, sur laquelle glissait une péniche. Se dessinant sur le soleil couchant, un vol d’oiseaux que je pris pour des engoulevents, me bouleversa. La beauté du panorama me coupa le souffle. J’en restai tout ébaubi. À l’époque d’où je viens, la pollution et le réchauffement climatique se sont encore aggravés. La jeune femme avait de l’entregent, elle s’était fait de nombreux amis et me les présenta. Je fus fort bien accueilli, quoiqu’une poignée d’entre eux se moquât de mon langage suranné. Je restai en toutes circonstances d’humeur égale, équanime. Cependant, j’en avais perdu ma faconde habituelle. Les malandrins m’accusèrent de n’être qu’un factotum, un plaisantin qui ne racontait que des fariboles. À mon époque, j’étais considéré comme un grand scientifique, ici j’étais souvent voué aux gémonies. Certains ne voyaient en moi qu’un godelureau propre à courir le guilledou, un histrion alignant des termes rares. Je commençais à avoir des doutes sur ma mission et je ressentais un irréfragable ennui. J’aurais aimé tout leur dire au lieu de passer pour un Jocrisse mais on m’aurait pris pour un fou. Je me
sentais inadapté, faisant même parfois face à des kyrielles de moqueries. Mais j’évitai les lamentos et me réfugiai dans la consultation de mon smartphone, pour faire comme tout le monde. En général, les gens étaient très accueillants, je n’étais tombé que sur quelques lascars dont je n’avais pu éviter la logorrhée fielleuse. Nostalgique, je regardai des vidéos de la mangrove martiniquaise, qui me rappelèrent mes vacances en famille. Mes proches me manquaient. je me montrai presque obséquieux, sans oser leur raconter mes déconvenues. Tous me rappelèrent l’objectif essentiel de notre mission, l’étude de l’homme du 21ème siècle . À cela s’ajoutait le but suprême : la recherche de l’être, l’ontologie. Je n’étais pas du genre à procrastiner et je m’attelais d’emblée à cette quête philosophique.
Au matin, il me tarda de découvrir les humains de 2020. Je retournai voir Eva, la jeune femme de l’arrêt de bus. Elle aurait voulu jouer les cicérones, me servir de guide touristique dans tous les musées, maisons d’écrivains ou lieux culturels des alentours. Cependant en raison de la crise de la covid-19, tout était fermé, même les théâtres et les restaurants. Elle m’invita à faire des courses dans un hypermarché et me proposa de nous rendre, l’après-midi, dans une librairie qui avait rouvert malgré le coronavirus. Dans la grande surface, je fus étonné par les caisses automatiques et le système de scannettes destinées à lire les codes-barres des produits. Certains clients préféraient utiliser leur smartphone et il en était même qui s’en remettaient à une caissière, ce qui m’apparut bien plus humain. Chez nous , des drones passent, à heures fixes, nous livrer la nourriture. Nous trimbalâmes un caddy débordant jusqu’à la voiture. Eva transpirait sous sa chemise en soie purpurine. Je ne l’avais pas du tout aidée dans le centre commercial, je me sentais hautement fautif. Pour me rédimer, je chargeai les courses dans le coffre. Elle fut étonnée par ma force et ma célérité, je n’avais aucun mérite, j’étais génétiquement modifié. En rentrant, elle posta des selfies de nous deux sur les réseaux sociaux. C’était un joli souvenir, me dit-elle. Je lui confirmais que cette rencontre serait une remembrance agréable pour moi aussi. Elle commença à se confier et me montra un calepin où elle avait griffonné des poésies. Elle me prévint que ce n’était là qu’un salmigondis d’êtres sélènes et d’astres sénescents. Puis elle partit dans un long soliloque sur son passé amoureux et ses aventures malheureuses. Feuilletant son carnet, j’admirais ses vers aux métaphores surprenantes et au souffle inattendu. Après une pause déjeuner, elle me conduisit jusqu’à une vaste librairie du quartier latin. J’avais hâte
de découvrir les oeuvres des écrivains du 21ème siècle. Comme je lisais vite, je dévalisai l’établissement. Le libraire qui m’avait conseillé se montra ravi de rencontrer un grand lecteur comme moi, avec un lexique aussi riche. De retour chez Eva, je commençai à parcourir les piles de romans. Cela me donnait envie d’écrire, moi aussi. J’allais rédiger une uchronie : fort de mon expérience de voyageur du temps, je réécrirais l’histoire en modifiant le passé. La vénusté et l’esprit d’Eva m’inspiraient, j’en ferais mon héroïne. Isabelle M 28/05/2020

 

 

Labor sed Dolor
Le temps s’abeausait(1)gentiment en cette fin du mois de mars.  Le jardin m’appelait. La trêve de l’hiver s’achevait, il fallait bêcher, biner, gratter, tailler. Dès le début de la semaine je m’attelais à la tâche tel un forçat, du matin au soir je ratissais, j’amendais, j’ameublais, je plantais, je semais. « Mais accoise(2) toi donc un peu » me disait ma compagne « crois-tu qu’il soit nécessaire de tout faire en un seul jour » Je ne tenais aucun compte de ses admonitions(3) charitables. J’étais un homme agreste, il en avait toujours été ainsi. Je n’avais pas le choix, la terre doit être nourricière et pour cela il ne faut pas hésiter à suer d’ahan(4).
Alors j’oubliais mes velléités de lecture, de marche, de causerie avec les amis. La terre, la terre comme un leitmotiv, il me fallait la dompter pour qu’ensuite je puisse récolter et montrer ainsi mon savoir-faire.
En fin de semaine le jardin avait une belle tournure : les haies étaient taillées, les allées étaient désherbées, le potager était labouré, et en partie semé. Avec satisfaction je pouvais ranger mes instruments aratoires(5.)
Je prenais grand plaisir à admirer mon ouvrage, quel beau travail, je pouvais être fier de moi. Un pissenlit moqueur restait au bout de l’allée, échappé à ma vigilance, je me baissais pour le déraciner, et là il me fût soudainement impossible de me redresser. Une douleur vive me fouailla le bas du dos me contraignant à rester courbé. C’est ainsi, plié comme un vieillard que je regagnai péniblement la maison. En guise de
consolation ma compagne me cria : – je te l’avais dit, je t’avais prévenu, non mais tu ne rends pas compte de l’âge que tu as. Il
ne reste plus qu’à aller consulter le bailleul(6) Je tentais de baler(7), à grand peine je réussis à me redresser mais la violence de la douleur
me cisailla, j’en perdis le souffle. Pas la peine de barguigner(8) davantage je me décidai à me rendre chez l’homme de science.
Je craignais cet homme qui avait pour habitude de bistourner(9) l’endroit qui faisait mal. C’était un original qui habitait une bicoque, il était boscot(10)et portait en guise de couvre chef un vieux bousingot(11). Il ne parlait guère mais avait la réputation de soigner tous les
maux. Dans le pays il était incontournable. Il n’était plus l’heure de cabasser(12) et je me rendis chez lui à pied, son logis se trouvait tout
près de chez nous. Il me reçut dans son antre et se contenta dans un premier temps de me canabasser(13) sans mot dire. Puis il me fit asseoir près du cantou(14)dans une caputoire(15) qui n’avait rien de confortable. Je n’étais pas à l’aise du tout, j’étais tout raide de douleur et je ne pouvais pas m’empêcher de geindre par moments mais cela ne semblait pas l’émouvoir. C’est alors que devant mes yeux ébahis il entama une carole(16)autour de mon siège. Je le pensais pris de carrousse(17). J’avais déjà vu des derviches tourneurs et je songeais qu’il
devait en être un, il allait sûrement me jeter un sort. Il tournai et tournai sans se préoccuper de moi. Je me sentais nauséeux à tenter de suivre des yeux son incroyable danse. Tout en poussant un cri aigu, il me couvrit brusquement d’une chabraque(18)puante. Je fis un bond de ma chaise en hurlant et en me débattant. Avec de grands gestes je me défis de cette guenille. J’étais stupéfait, je ne comprenais rien à cette mascarade. D’un air chafouin(19) tout en se frottant les mains il m’interrogea
– Et alors, mon cher, comment vous sentez vous maintenant ?
Je ne pouvais chicoter(20), il me fallait admettre que le bond que j’avais réalisé avait du me remettre les vertèbres en place, en tout cas je ne ressentais plus de douleur, je me sentais libéré du bas du dos. Pour finaliser cela sans doute il me prît la main et m’entraîna dans une
contredanse(21)effrénée. Je ne pus m’empêcher d’imaginer le spectacle que nous donnions. Ma main dans la main de ce bossu à faire des simulacres de danse, tapant du pied et sautant en rond. Ma fierté n’aurait pas supporter un quelconque spectateur. Nous nous arrêtâmes quand devenu coralline(22) je ne pouvais plus reprendre mon souffle, je haletais comme un cheval qui vient de courir le grand prix de Longchamps. Nous sortîmes dans le courtil(23) Je pouvais m’éjouir(24) je ne ressentais plus aucune douleur, j’étais comme un jeune homme.
Je me tenais droit, la tête haute, bien fier. Je ne pus cependant pas m’empêcher de faire remarquer à mon hôte que ses soins n’en
étaient pas réellement. Il m’avait tout simplement pris par surprise, tout comme on peut faire passer le hoquet à quelqu’un en lui faisant peur. Je lui dis que je doutais de ce fait qu’il ait quelque don. – Ne vous méprenez pas je ne cherche pas à vous embeliner(25), me répondît-il, mais pour vous faire oublier votre douleur il fallait que je parvienne à vous amener à penser à autre chose, que je vous délie de votre douleur, d’où cette danse. Et quand j’ai estimé le  moment adéquat j’ai provoqué cette terreur. Votre maladie n’était pas épiloptique(26), il me fallait l’appréhender en conséquence. Votre éréthisme(27) à mon égard a rendu ma tâche plus difficile, je vous serai gré d’accepter
mon professionnalisme, j’ai quand même compris de quoi vous souffriez. – Pourtant c’était simple, dis-je, je souffrais tout simplement du dos, cassé à jardiner.
– Que vous croyez, croassa-t il, sachez que vous auriez pu tout simplement fatrasser(28) vous aurez quand même souffert du dos. Car ce n’est pas le travail que vous avez effectué qui est la cause de vos tourments. Le travail peut certes fatiguer mais la douleur émane d’autres sources.
Vous craignez par-dessus tout d’être considéré comme flaire-murette(29) et pour cela vous mettez un point d’honneur à vous échiner au travail, votre jardin est pour vous le miroir de ce que vous voulez que l’on voit de vous. Sans me tromper je peux vous dire que ce qui vous plaît c’est faire la frigousse(30), vous êtes indéniablement un frippe-lippe (31). Mais pour autant vous n’êtes point un gavache(32), nul besoin de le démontrer en vous crevant dans un travail que vous n’appréciez guère. Point besoin de glatir(33)pour se donner de l’importance. Soyez vous-même. Gobergez(34) vous donc à l’envi. Car la vie ne vaut rien aux gens gourmés(35.) Rien ne sert de faire le grimelin(36). Je vous le répète soyez vous-même tout simplement et le monde est à vous. Allez maintenant, vous avez compris que l’on n’est pas ici-bas pour souffrir. Comme disait mon maître Labor sed dolor. Il faut juste rechercher l’heur(37) et le bonheur.

1 se mettre au beau
2 Rendre calme et tranquille
3 Conseils avertissements
4 Grand effort
5 Se rapporte au labourage
6 rebouteux
7 remuer
8 hésiter
9 Tourner, courber un objet
10 bossu
11 Chapeau de marin

12 bavarder
13 Examiner avec soin
14 Foyer de cheminée
15 Chaise basse
16 Danse en rond
17 Excès de boisson
18 Pièce de drap ou de peau de mouton
19 Qui ressemble à une fouine
20 Contester
21 Danse rustique
22 Rouge comme du corail
23 Petit jardin
24 Se livrer à la joie

25 Duper
26 Fortuite
27 État d’irritation
28 S’occuper à des niaiseries
29 Parasite
30 Bonne chère
31 Gourmand ou gourmet
32 Homme lâche et sans honneur
33 Cri de l’aigle
34 Prendre ses aises
35 Présenter l’apparence de roideur et de présomption
36 Joueur dont le jeu est mesquin
37 Bonne fortune

Anne Geffroy

 

Meurtre au manoir

Je me souviens très bien de la date de sa mort. C’était un samedi de la fin du mois d’août et j’avais exceptionnellement fini mon service au manoir à midi. Je m’habillais pour le mariage de ma nièce lorsque la sonnerie du téléphone m’avait arrêtée dans mes préparatifs.
– Madame Grandmaison?
– Elle-même
– Je suis l’inspecteur Delval du commissariat de Brest-centre, je suis au regret de vous faire savoir que Monsieur Laclos a été retrouvé mort sur la grève de l’Aber brug. Vous êtes bien employée de maison au manoir du Brug?
Je poussais de la pointe du pied une chaise et m’y asseyais lourdement. Je ne réalisais pas encore ce que m’annonçait le commissaire. Monsieur Laclos semblait se porter à merveille lorsque je l’avais quitté. Il revenait du manège du centre d’équitation où il avait tenté pendant une paire d’heures d’accouer les chevaux. Il était satisfait du résultat et avait afféné les bêtes avant de s’installer pour le repas.
– Que s’est-il passé ? Monsieur Laclos se portait très bien lorsque je l’ai quitté.
-Nous l’avons trouvé enseveli sous les algues vertes, nous craignons une mort par asphyxie.

Monsieur le commissaire me donna rendez-vous au manoir le dimanche à 10heures. L’esprit égaré, je terminais de m’habiller et de me coiffer avant de rejoindre la noce qui se déroulait dans une vieille et noble demeure de Keremma. Peu de personnes de la famille connaissaient mon employeur et je ne parlais du décès à quiconque. J’essayais de me mettre au diapason de la fête mais le cœur n’y était pas et je rentrais avant que ne soit servi le gâteau de mariage. La nuit fut courte et je me présentais au manoir de Kerbrug au petit matin. L’aiguail perlait encore sur les hautes herbes et le souffle du vent entrebâillait les branchages des arbustes du parc. Je longeais d’un bon pas l’aigue de l’aber qui clapotait gentiment en attendant la marée-haute. Je savais que malgré les circonstances dramatiques je trouverai José, le palefrenier, à son poste. Le centre équestre était désert mais j’entendais les bruits des seaux de fer et des hennissements provenant des écuries. José nourrissait les juments alezanes et mon arrivée ne le dérida pas. Cet homme était un aliboron et je n’avais jamais compris le choix et la confiance de Monsieur Laclos à son encontre. Tout m’horripilait chez cet homme jusqu’à son alopécie qui rappelait à tous l’accident de cheval de l’année précédente. J’espérais qu’il m’entretiendrait du seul sujet qui m’intéressait mais il se détourna lorsque je l’apostrophais. Ce jeune homme au visage amarante avait l’alcool mauvais et avait eu maille à partir avec le personnel du manoir et avec une partie du voisinage. Pourtant il savait s’occuper avec douceur des chevaux et lorsqu’il les brossait ou les nourrissait il leur parlait et savait les réconforter. Le cheval balzan était son préféré et lorsqu’on les voyait galoper sur le sable de la grève, l’osmose entre la bête et l’homme était parfaite.

Je revins sur mes pas et scrutait la petite plage recouverte d’algues, le rubalise courait du muret de pierres jusqu’au niveau du barachois où s’abritaient les petites embarcations de bois. J’étais songeuse. Monsieur Laclos ne partait jamais pêcher sur son bateau l’après-midi, pourquoi avait-il subitement dérogé à ses habitudes ? Et comment cet homme expérimenté et en bonne forme physique était-il tombé sur la grève sans pouvoir se relever ?

Dans la cour du manoir, un petit groupe s’était formé et discutait vivement. Je reconnus Monsieur le maire et son adjoint entourés de plusieurs membres du personnel du Brug. Marie, la jeune femme responsable de l’intendance et du secrétariat s’entretenait avec les deux animateurs du centre équestre. Sans barguigner, je les rejoignis juste au moment où l’inspecteur Delval garait sa clio grise devant nous. C’était un bel homme aux traits réguliers qui sortit de la voiture, sa large carrure renforçait son allure d’homme tranquille et affable. Il émanait de lui un sentiment de sécurité qui donnait envie de lui faire confiance et de s’en remettre à sa sagacité.

Il nous réunît tous dans la salle à manger de la vieille demeure. Il ferma la grande porte en bois et accrocha nos regards un par un. L’atmosphère était solennelle mais un début d’anxiété mouillait nos chemises.

-Vous savez tous pourquoi je vous réunis ce matin. Monsieur Laclos a été retrouvé par des promeneurs sur la grève de l’Aber brug hier après-midi vers 14.30. L’émanation d’hydrogène sulfuré dû à la putréfaction des algues semblait en être la cause. Mais Monsieur Laclos est un homme avisé et sa mort est suspecte. Le légiste est formel et souscrit au jugement du Dr Bernard appelé par les secours. Monsieur Delval s’interrompit et nous  dardâmes nos regards impatients sur ses lèvres. Monsieur Laclos a été victime d’un homicide volontaire, on a tenté de l’étrangler puis on l’a abandonné inconscient dans le tas d’algues vertes où il a succombé.

Un frémissement de surprise et d’horreur fit le tour du groupe malmenant chacun dans son intimité et ses convictions.

-L’examen de son bateau, continua le commissaire en se plaçant sous le claveau de la fenêtre principale, fait état d’une querelle bien musclée. Le corps est contondu en plusieurs endroits notamment au niveau du visage. L’enquête policière et de voisinage continuent et vous serez tous reçus à tour de rôle en qualité de témoins. Je vous remercie, vous pouvez-disposer pour aujourd’hui.

Après les déclarations édifiantes du commissaire Delval aucun d’entre nous ne souhaitait prolonger l’entretien et nous nous égaillèrent aussitôt sans même nous souhaiter un bon dimanche. Le commissaire me rattrapa avant que je ne déverrouille la porte de mon R5.

-Madame Grandmaison, vous êtes la dernière personne à avoir vu et parlé à Monsieur Laclos, pourriez-vous me dire s’il vous a semblé agité ou anxieux ? Vous-a-t-il entretenu de ses projets de l’après-midi ?

J’expliquais au commissaire que Monsieur Laclos et moi-même avions confabulé comme à notre habitude et qu’ensuite j’étais rentrée prestement me préparer pour le mariage. Le daron était gai et satisfait de l’adaptation des juments alezanes qu’il venait d’acquérir, il prévoyait de retourner au manège l’après-midi.

-Pensez-vous qu’il avait des ennemis, que quelqu’un aurait pu lui vouloir du mal ? Réfléchissez bien madame Grandmaison. Y-a-t-il eu un évènement, un fait qui vous a interpellé les jours derniers ? Vous connaissez Monsieur Laclos depuis de nombreuses années, lui est-il arrivé de se confier à vous ?

-Je dois vous dire que Monsieur Laclos et José avaient des relations étranges et paradoxales. J’ai entendu plusieurs fois José débagouler après s’être entretenu avec son patron. Il semblait lui en vouloir mais ce n’était pas réciproque. Monsieur Laclos était toujours élogieux lorsqu’il parlait du palefrenier qu’il avait pris sous son aile, il y a quatre ans. Mercredi encore, la discussion était vive entre-eux-deux lorsque Monsieur Laclos est rentré de sa visite mensuelle à l’étude du notaire. José est un bambochard notable, il est souvent le sujet de plaintes lorsqu’il a bu et dragonne les filles ou les gars du bourg. L’année dernière, lorsqu’un ébalaçon violent l’a gravement blessé, Monsieur Laclos s’est occupé de lui avec prévenance et délicatesse.

-Veuillez m’excuser de vous avoir retenu pour cet entretien particulier, je vous remercie pour vos réponses, bon dimanche Madame Grandmaison.

Monsieur Delval tourna les talons et je restais toute ébaudie de ma conversation avec cet homme charmant.

En arrivant près de l’échauguette, je ne tournais pas à droite pour rentrer chez moi mais continuait tout droit pour rejoindre la maison de Madeleine, Je souhaitais me faire écornifler le déjeuner et lui raconter les derniers évènements de Kerbruz. Je m’éjouissais à l’avance du bon moment que nous passerions à comparer nos versions du meurtre.

Très tôt le mardi suivant, Delval sonnait chez moi, il était accompagné de deux gendarmes.

-Madame Grandmaison, je vous arrête pour complicité d’homicide sur la personne de Monsieur Laclos. Le témoignage du principal suspect José Laclos, le fils du propriétaire, vous a confondu.

Je tendis mes deux bras devant moi sans résister.   Françoise Congar

 

CORENTINE AUTROU
Corentine Autrou affichait ses soixante dix printemps sans que les années n’aient abalourdi sa  silhouette légère. Pourtant elle ne refusait jamais un abat-faim, avec de riches victuailles et un  bon vin, lorsqu’on voulait bien l’inviter. Le hasard ne déposait jamais d’invités surprise à sa  porte alors qu’elle aurait accueillis avec plaisir des amis ou même d’ordinaires connaissances.  Hélas, il ne lui restait ni amis, ni connaissances suffisamment vaillantes pour la rejoindre dans  ces lieux. Sa bicoque accrochée à la roche d’un aber où elle vivait seule depuis la disparition de ses  parents n’incitait guère à la visite. On y accédait par un sentier côtier qui, même lorsque le  temps s’abeausissait, était difficilement praticable. Pendant la saison pluviale personne  n’aurait pris le risque de glisser dans la boue et finir déchiqueté dans les rochers. Corentine s’était accrochée à son lopin de terre caillouteux, à la limite abiotique pour une  vieille dame respectable. Son potager ingrat, aborné depuis des siècles par la falaise,  fournissait à peine le nécessaire pour survivre au quotidien. La principale nuisance à laquelle  elle faisait face restait les cohortes de jeunes marcheurs indélicats, les touristes vagabonds de l’été qui piétinaient ses pauvres plantations au nom de leur droit au sentier côtier et laissaient  derrière eux papiers gras et cannettes de soda. Plusieurs fois les gens de la municipalité avaient tenté de s’approprier sa haie chétive et son muret de pierres face à la mer, au nom d’une servitude décrite dans d’obscurs textes de lois qui jaillissaient dans les tuyaux
numériques parisiens. Ils s’étaient abouchés à de multiples occasions sans le moindre résultat : Corentine ne voulait rien d’autre que rester là et ignorait leurs discours abscons sur une éventuelle expropriation. Les choses restaient en suspens, la partie adverse misant sur une
extinction discrète de la rebelle dépourvue de descendance. La violente tempête de janvier la cueillit alors, qu’exceptionnellement, elle s’acagnardait dans son antique fauteuil à bascule, le déchaînement extérieur lui interdisant toute sortie sur la dune. Dans un étrange crissement un pan de falaise avait glissé dans les flots arrachant quelques plants centenaires de son jardin. Après le passage des plus violentes bourrasques, elle sortit constater les dégâts.:Contemplant son muret écroulé et la fissure qui s’ouvrait dans le sol rugueux jusqu’à sa porte d’entrée, elle se décida ! Il était temps de s’accointer avec les officiels avant que son terrain ne parte à la dérive. Aucune accrue de lui rendrait les mètres carrés qui ne manqueraient pas de suivre les premières mottes de terre emportées. Corentine savait bien que la mer était toujours la plus forte et se jouait des barricades et des digues. Pas question qu’elle se retrouve dans cet accul sans aucune espérance de garder un toit au-dessus de la tête sinon celui des cages à lapin bâties à la va-vite derrière l’église. La montée des eaux était inéluctable, son terrain s’effriterait jusqu’à l’engloutissement. Le temps était venu de négocier ! Corentine, revêtue de ses habits du dimanche, enfourcha son vélomoteur, un magnifique cent trois Peugeot qu’elle avait repeint d’un joli bleu azurin, et se présenta à la porte de Monsieur le Maire. L’édile ricana intérieurement en invitant la petite silhouette dans son pantalon hors d’âge et  un petit chandail tricoté en laine d’Irlande à s’asseoir. Mais la petite bonne femme resta debout, son imperméable à capuche sur le bras. – C’est d’accord ! dit-elle avec alacrité, j’accepte votre première offre de prix pour ma  maison. Je ne souhaite pas profiter du logement social à l’ancien presbytère que vous m’avez proposé. – Mais alors Madame Autrou, vous pensez vivre où ? dit le Maire qui avait du mal à cacher sa jubilation. – Je préfère que vous m’achetiez une roulotte aménagée, un van comme disent les jeunes. C’est tout et le reste de la somme à la banque. Le Maire stupéfait, après quelques admonitions charitables pour la pousser à s’installer dans le village, invoquant son âge et ses racines, se dépêcha de conclure l’affaire, sans même chercher à comprendre les raisons de ce revirement inopiné. Enfin, la vieille avait cédé, il ne  fallait pas lui laisser le temps de changer d’avis ! L’administratif fut rapidement expédié. Aucune algarade ne vint troubler le marché qui sembla juteux à tout le conseil municipal. Les plans d’aménagement étaient prêts depuis des années et les travaux seraient rapidement lancés. Trois mois plus tard le compte bancaire de  Corentine s’était épaissi et sur la place du marché trônait une magnifique roulotte en bois vernis, à l’intérieur velouté d’amarante, sous le regard narquois des habitants, pas mécontents de se débarrasser de celle qu’ils surnommaient la « Sorcière de l’Aber ». Un alezan bien calme, attelé à la remorque, attendait le départ en secouant la tête pour chasser  les mouches. Le Maire avait préparé un discours, histoire de justifier les agapes prévues après
la cérémonie, mais la vieille Corentine cherchait encore des histoires. – Ce cheval est trop vieux, asséna-t-elle, coupant le flot de paroles transparentes du politique en plein exercice de style. Et puis il a été fourbu, rajouta-t-elle en soulevant un  antérieur, tout juste si celui-là peut encore marcher à l’amble. Il me faut un autre cheval ! et se tournant vers le deuxième adjoint, ton cheval aubère, un dix ans un peu alerte fera
mon affaire ! – Je vais le chercher, se précipita l’adjoint un peu dépité d’avoir à se échanger son cheval  contre une vieille carne que tous avait espéré fourguer en douce à Corentine. Les discours furent interrompus, le cheval échangé, puis attelé, le cent trois Peugeot accroché
à l’arrière de la roulotte, Corentine installée sur sa nouvelle demeure et l’équipage s’élança  sur la départementale sous de frêles hourras de soulagement. Le village s’était débarrassé de la vieille et le conseil avait les mains libres pour  l’aménagement touristique de l’Aber. Une bacchanale mémorable se préparait à la salle des  fêtes. Pascale

 

 

 

Un mesnil sur une terre ingrate
La pièce est claire, très haute de plafond et entourée de grandes fenêtres en plein cintre. Tout autour de la pièce, des ouvriers s’affairent au-dessus de maies dans lesquelles ils pétrissent la pâte à pain. La lumière avive la blancheur de la farine à laquelle se mêle l’eau transparente. Les maies en bois peint sont alignées. Ce sont des motifs floraux qui en ornent les parois. Au travers des grands carreaux, on peut apercevoir la maigre où l’eau de la rivière manque avec des bancs de sable fin jaune paille. Le dehors a des allures de désert. Tout est si sec que çà et là jaillissent des flammes qui montent bien haut dans le ciel pour s’évanouir rapidement sous le poids de capuchons largués du ciel par de grands oiseaux.
Le bâtiment, au rez-de chaussée de laquelle se trouve la grande salle, est recouvert extérieurement d’un enduit enrichi de maillechort. Lorsqu’il fait gris, le bâtiment gris disparaît quasiment dans le paysage et ne trahit sa présence que par des éclairs argentés. A l’étage du bâtiment, au-dessus de la grande salle des maies, on fabrique des cartes à jouer. Partout dans la pièce se trouvent des grandes feuilles de papier main-brune. Les cartes sont constituées de trois couches de papier. Le papier main-brune est le papier gris opaque qui est utilisé pour la couche du milieu. La couche du dessus est en papier cartier, celle du dos en papier pot. La pièce est occupée par une presse et un découpoir. Sur ces cartes, on imprime toutes sortes d’informations utiles : des images des objets des mondes minéral, végétal, animal et humain accompagnés des mots précis qui les désignent. Certaines cartes illustrent des tournemains, des savoir faire,des connaissances pratiques. Certaines cartes sont des calendriers pour suivre les événements de la saison.Tout le monde possède des jeux de cartes et chacun a, en permanence, au moins un jeu de cartes en poche qu’il
peut en sortir à sa fantaisie, lorsque la curiosité l’y pousse, pour passer le temps ou pour démarrer une discussion. A tout âge on apprend ainsi facilement, ludiquement en échangeant avec ses pairs. On entretient aussi ses connaissances sans fatigue afin de ne pas oublier. Les biens de tous sont de mainmorte. A la mort d’un membre de la communauté, tous ses biens reviennent à sa communauté à l’exception des jeux de cartes qui se transmettent de génération en génération. Chacun dispose d’une pièce de logement aux murs desquelles s’adossent des rayonnages où sont rangés de nombreux paquets de cartes. Excepté cela, chaque pièce ne contient qu’un lit. Ces pièces, quasiment vides où l’on ne permet qu’aux jeux de cartes de s’accumuler, sont intensément lumineuses le jour, noir d’encre la nuit car la Lune n’existe plus.
Une fois par an se tiennent les jeux floraux de composition de poésies. Les poésies doivent être très courtes pour pouvoir figurer sur les cartes à jouer et accompagner des illustrations. Les mainteneurs décident des compositions qui seront retenues. Ils récompensent les auteurs avec des fleurs qui sont assez rares dans ce pays aride et dont on apprécie le caractère éphémère et l’embellissement temporaire qu’elles confèrent aux chambres des participants. Ce bâtiment où l’on pétrit le pain dans des maies et où l’on fabrique des cartes à jouer est non seulement un atelier
mais aussi un mesnil, une demeure. Les pièces individuelles attribuées aux ouvriers occupent les étages supérieurs. Elles sont saines, lumineuses et de leurs fenêtres, on peut voir arriver d’éventuels visiteurs qui sont forts rares. Le mesnil est équipé d’un réseau de tuyaux de diamètres plus ou moins grands permettant d’envoyer divers objets d’une pièce ou d’un atelier dans un autre. A l’entrée de chaque espace est suspendu au mur un maître à danser : un compas permettant de mesurer le diamètre intérieur des tuyaux afin de s’assurer que l’objet que l’on va y
envoyer ne va pas s’y coincer. De l’air pulsé à l’entrée d’un tuyau projette l’objet vers sa destination. Une bonne partie du temps des gens est consacrée à embellir les espaces communs. Ils maîtrisent parfaitement l’art de la majolique. Murs et plafonds sont couverts de terre émaillée représentant des paysages de verdure, de végétation luxuriante car au-dehors la couleur dominante est plutôt le jaune désert. Le ciel, rarement gris, est le plus souvent dégagé et le peu d’eau de la rivière est bleu Majorelle. Un bleu si puissant que l’on se garde bien d’avaler cette eau. Les petits enfants qui la goûtent par distraction gardent la langue bleue pendant dix jours. C’est en général une expérience qu’ils ne reproduisent pas tant ils se font gourmander par les plus expérimentés. En effet, pendant les dix jours, la fringale les habite en permanence et l’on doit tripler leur ration de pain. Et, comme la contrée est très pauvre et malgré la planification rigoureuse de la production de pain pour prévoir ce genre d’incident, il est nécessaire de sensibiliser les plus jeunes au danger de la pénurie. Il y a dix ans, la jeune génération était si soudée, que tous ses membres avaient gouté à l’eau Majorelle de la rivière. Nombreux étaient morts de faim faute de pain en quantité suffisante. On les avait surnommé les malandres comme les noeuds pourris d’une pièce de bois. Malandre était devenue une insulte commune au mesnil. Depuis, en général, les jeunes se tiennent à distance respectueuse de l’eau maudite. Au mesnil, les sols sont en marbre Malplaquet dont le fond est d’un rouge pâle vineux ondulé de gris. Ces sols sans aspérités sont faciles à entretenir. Non seulement les serpillères, mais aussi les fonds de culottes des jeunes qui pratiquent la glissade sur marbre, participent de l’aspect de propreté éclatante des divers lieux de déambulation
de la demeure ouvrière. Depuis bien longtemps ont disparu les diverses formes de maltôte car nul impôt n’est plus perçu, les gens ne
possédant rien en propre à part leur collection de paquets de cartes et leur grabat. Tous travaillent pour la communauté du mesnil qu’ils habitent. Leurs pensées sont simples et claires, enrichies par des savoirs et des savoir-faire transmis et entretenus par les cartes diffuseuses de savoirs et d’expériences et poussant à des échanges joyeux entre les individus. Tous savent comment les choses sont faites et pourquoi. Nul secret ou ignorance ne vient assombrir leurs esprits ouverts et renseignés. Très tôt, on apprend à chanter à la manécanterie, école de chant du mesnil se trouvant dans une dépendance du bâtiment principal. Les cordes vocales sont un magnifique et riche instrument à la portée de chacun donc économique. Le chant est pratiqué par tous en groupe ou en solitaire. Nul ne laisse son organe vocal inactif.
Chacun sait l’employer juste comme il convient, sans forcer, sans se forcer à exceller, en se contentant de ce que la nature a donné. Tous aiment chanter pour le plaisir tout bas ou bien haut. Ce mesnil-là, comme nous l’avons dit, possède en plus de son atelier de fabrication de cartes à jouer, un atelier de fabrication du pain. Tous les mesnils ne possèdent pas un tel atelier. Ainsi, une fois par semaine, une fois le pain cuit, le manganier du mesnil se rend à la foire du bord de mer pour échanger du pain contre du sel et des pierres précieuses de un mangelin, soit 1 carat trois quarts – ou 0.35 grammes – pour les ornements du mesnil. Un jour, le manganier rapporte de la foire un manichordion. Il est immédiatement porté à la manécanterie pour accompagner les chanteurs. Le son discret de l’instrument est fort apprécié car il aide à trouver la bonne note et ne relègue jamais l’instrument vocal au second plan. C’est un très joli objet de taille modeste, portatif, décoré de
peintures. Le mesnil possède aussi une salle pour les sortilèges. C’est une petite salle encombrée de manies. Ces figures de
cire sont alignées le long des murs. Les plus vieilles, couvertes de poussière, ne vont pas tarder à être incinérées, mais on les garde toujours quelques années en observation. Chaque manie représente un individu qui, dans un passé plus ou moins proche a tenté de propager dans les esprits de la communauté l’idée que celle-ci est superflue et pesante et que les individus doivent s’en affranchir. Le sortilège administré à la manie pousse l’individu à quitter la communauté. Il est ensuite difficilement accepté dans les autres communautés. Errant, il finit souvent mort
d’inanition dans l’espace extérieur quasi stérile. Enfin, au mesnil, on ne recourt qu’à des remèdes naturels. La maniguette ou graine du paradis sert en de nombreuses circonstances contre les maladies et elle est très bonne pour le corps des femmes. En somme, le mesnil a fait sien l’ancien manse des temps féodaux. Le groupe qui en est la vie, a déterminé la portion de terre jugée nécessaire pour sa survie et s’en contente, vivant frugalement pour ne pas priver les autres mesnils. Cette mesure de terre est très importante étant donné le caractère déshérité de cette terre ravagée par la folie des hommes qui les ont précédés et dont ils ne veulent reproduire les erreurs. Boum 25/05/2020

 

18 mai 2020 Viviane

L’héritage du passé

Merlin adorait la mythologie, enfant sa mère lui racontait ces histoires au lieu des contes traditionnels. Il avait continué avec ses enfants Hugo et Clémence. Cependant il préféra ne pas leur lire celle de la pierre d’Abadir, qui l’avait marqué à jamais tant la cruauté de Saturne était innommable envers ses propres enfants. Il n’aurait pour rien au monde voulu les abalourdir et préférait leur conter les aventures d’Ulysse de l’Iliade et l’Odyssée.

Il y avait à peine 3 mois, il s’était endetté afin d’acquérir un petit manoir breton à rénover. Le plus urgent était de refaire les abaques qui reposaient sur les colonnes de l’entrée de la grande cour, avant que la voûte ne s’effondre. Merlin était expert en immobilier dans une compagnie d’assurance, il connaissait bien le bâtiment. C’était un abator que l’on ne pouvait pas berner.

Il sortit de bon matin pour faire le tour de son domaine. Quand il arriva dans le sous-bois, il vit les abattures que le grand cerf avait laissées après son passage dans les broussailles.

– Il ne sera pas difficile de suivre sa trace, se dit-il.

Le temps s’abeausissait enfin après ces longues journées de pluie et de grisaille.

– Je vais pouvoir commencer à éclaircir les arbres. Mais je vais d’abord vérifier l’abée par laquelle l’eau fait tourner le vieux moulin.

L’endroit était sauvage. Il avait installé ses ruches non loin de là dans un champ couvert de fleurs et de plants, d’éleagnus, de lavande, d’escallonia et d’un grand platane. Aujourd’hui l’abeillage n’existait plus et chacun pouvait récupérer les abeilles éparses ou les naissains qui s’installaient sur son territoire. Il grimpa sur la petite colline d’où il pouvait apercevoir l’entrée de l’aber de la rivière d’Etel. La marée était basse et le banc de sable fermait quasiment toute l’entrée de l’embouchure. De nombreux bateaux attendaient en mer les directives de la gardienne du phare. Tout en continuant son exploration, il songeait à la conversation qu’il avait eue avec son voisin Marcel à propos de l’abergeage que son aïeul Marcel le Grand avait contracté lors de son premier emphytéote.Il parlait ab hoc et ab hâc et était tellement confus que Martin n’avait rien compris à ses histoires de contrat en première possession.

Par contre il avait tendu l’oreille quand Marcel avait évoqué l’abigéat dont sa famille avait été victime. Selon lui l’arrière-grand-père de Merlin aurait détourné leur troupeau de magnifiques moutons à son profit. La justice avait été saisie, mais aucune preuve n’avait permis d’établir qui était le propriétaire des animaux qui n’étaient pas marqués. Merlin connaissait cette histoire qui animait de temps en temps les repas de fête, mais son arrière-grand-père qui avait tant d’abir, clamait vexé que c’était le voisin le voleur et que lui n’avait fait que récupérer son bien. A l’époque des faits, il avait écrit une lettre d’injure, ab irato au coupable pour exploser sa fureur mais il avait regretté aussitôt son manque de sang-froid. Il poursuivi son chemin vers le grand champ de blé. Il constata qu’il était temps de l’aborner, les sangliers avaient encore ravagé une parcelle. Il avait enfin réussi à s’aboucher avec Marcel, ils s’étaient mis d’accord pour installer ensemble la clôture qui protégerait également son champ.

Il rêvassait en pensant à la soirée qu’il avait préparée pour l’anniversaire d’Émilie. Il lui avait acheté une magnifique abraxas, la pierre précieuse était gravée de signes du zodiaque. Il remarqua que les jeunes arbres étaient de plus en plus abroutis, les chevreuils adoraient les jeunes pousses. Il eut un instant de découragement, il avait tant de travaux à réaliser pour tout remettre en état.

– Pas question de s’acagnarder au coin de la cheminée se dit-il.

Ses pensées revenaient à Émilie. Les accordailles pour leur contrat de mariage l’avaient bien contrarié. Sa belle-famille avait été assez généreuse mais il avait eu l’impression qu’il lui en avait fait accroire avec leur roublardise. Il n’avait pas osé demander ce que cachait au fond ce contrat qu’il avait signé les yeux fermés.

-Quoi qu’il en soit, j’étais acculé et j’avais besoin de leur soutien pour le manoir. Par acadie ou flemmardise j’ai laissé faire.

Il aperçut de nombreuses aconits qui étaient extrêmement vénéneuses, en bordure du chemin.

– Je dois les arracher, leurs belles fleurs peuvent être mortelles.

Germaine sa mère, connaissait bien les vertus des plantes, elle lui préparait régulièrement une acope pour le détendre.

Il arriva près du vieux bâtiment en ruine à la limite de son domaine. Il avait décidé de l’acquêter pour en faire une remise. Le propriétaire lui avait accordé son acréantement sans difficultés.

Il continua le chemin qui le ramenait au manoir d’un bon pas, suivi par son chien qui passait son temps à suivre les traces de gibier. Quand il aperçut au loin la bâtisse, il leva les yeux sur la terrasse du toit dont il avait fait condamner l’accès tant il craignait que quelqu’un ne tombe en l’absence de garde du corps.

– C’est peut-être ça ma priorité, les acrotères sont en très mauvais état, je ne peux pas risquer un deuxième accident .

Peu de temps avant la vente, La femme de l’ancien propriétaire s’était tuée en tombant de cet endroit. Une enquête avait eu lieu, le mari avait été entendu par les gendarmes. Mais c’était un des affidés du commissaire, il fréquentait les mêmes clubs, chassaient ensemble, il lui faisait entièrement confiance. Jamais il ne l’aurait suspecté. L’enquête avait été bâclée. Une terrible algarade avait eu lieu entre la famille de la jeune femme et son mari. Les insultes et les volées de bois vert fusèrent de part et d’autre.

– Vous n’êtes qu’un maître aliboron stupide et ignorant. Vous ne vous en sortirez pas ainsi, je vous le promets, lui dit son beau-père.

– Et vous un bourgeois prétentieux.

Sans preuve le dossier fut vite classé.

La famille n’ignorait pas que leur fille avait peur de son époux et le soupçonnait de la maltraiter. Mais elle avait toujours refusé d’en parler. Au village certains disaient qu’il l’augariait chaque jour et qu’il aimait l’humilier.

Il dû se faufiler sur le petit chemin de plus en plus angustié, il avait bien du mal à passer avec les ronciers qui envahissaient la haie de son voisin.

– Marcel ne semble pas pressé d’y remédier, ce n’est pas faute d’antidopage maintes fois répétées. Il espère sans doute que je finirai par le faire moi-même !

A chaque fois qu’il essayait de lui parler, c’était une véritable antilogie. Marcel adorait les contradictions de langage et d’idées, et les grandes démonstrations d’antonymie, son jeu favori.

Merlin l’aimait bien et ne lui en voulait pas vraiment. C’est lui qui lui avait mis la puce à l’oreille en évoquant le précédent propriétaire du manoir. Lors d’une savante apagogie dont il avait le secret il lui avait démontré que la jeune femme ne pouvait pas s’être suicidée ou être morte par accident comme voulait le faire croire le mari. Le médecin avait aussi évoqué une crise cardiaque avant sa chute. Mais sans vraiment y croire.

– Peu de gens le savait, mais elle était enceinte, elle venait de l’apprendre quand elle a croisé ma femme Rose, son amie. Elle était tellement heureuse qu’elle lui a annoncé la nouvelle. Je la connaissais bien moi aussi. C’était une femme très prudente qui avait aussi fait preuve de maintes apertises lors de la fête sportive du village. Elle avait démontré son habileté et son adresse. Jamais elle n’aurait risqué sa vie et celle de son enfant sur cette terrasse où personne n’allait plus depuis qu’une partie du garde-fou s’était brisé…Toujours surprenant, Marcel laissa brusquement sa pensée en suspens. Fidèle à lui- même, il réalisait là une aposiopèse qui me laissait pantois.

– Je devrai deviner la suite, ou attendre qu’il veuille bien m’éclairer sur ses supputations.

J’ai au moins compris que pour cet homme, son mariage avec une riche héritière était une sacrée aubaine, et je sais qu’il a déjà profité d’un héritage avitin de sa grand-mère maternelle. La rumeur dit que ce belître a tout dilapidé au jeu et dans certains clubs spéciaux.

Il arriva près du colombier qu’une équipe d’artisans rénovait. Le bâtiment était en bien piteux état et tout allait de travers et belonc. Une partie du mur s’était affaissé puis écroulé. Un artisan avait reçu une pierre sur la tête.

– Heureusement c’est sans gravité se dit-il

Il entendait son fils jouer laborieusement du biniou dans sa chambre, fenêtre ouverte.

– Aie, Aie, Aie, ça promet !

Au même moment une dispute éclata et il dû interférer pour quelques bisbilles entre un jeune apprenti et le tailleur de pierres. Celui-ci lui reprochait de faire les yeux doux à sa dulcinée. Ils n’arrêtaient pas de blézimarder, se coupant la parole mutuellement.

– Espèce de blondin que je ne te vois plus l’approcher !

– Vieux bouc, elle ne t’aime pas !

Merlin avait haussé le ton pour intervenir quand il entendit un cri de surprise. Un des artisans venait de trouver une boite en métal dans un des boulins creusé dans le colombier. C’est là que nichaient et pondaient les pigeons.

– C’est peut-être un trésor, dit-il en la tendant tout excité à Merlin.

Elle était assez grande et finement décorée, quand il souleva le couvercle tous les regards de l’équipe étaient fixés sur la boite. Il y avait des bijoux, quelques pièces d’or, et une lettre de Clarisse l’ancienne propriétaire.Il l’ouvrit et l’a lu à haute voix, c’était grâce à leur travail à tous qu’il l’avait trouvé.

« Ceci est un appel au secours. J’ai compris que mes jours étaient comptés. Mon mari ne m’a pas caché qu’il voudrait me voir morte. J’ai fait une terrible erreur en le nommant par testament mon principal héritier sur tous les biens que nous avons en commun et en acceptant de payer une importante assurance vie sur ma tête. J’ai toujours été plutôt bonace et je n’ai pas su me défendre, mais la peur est devenue mon lot quotidien, il a réussi à me couper de mes proches.Je subodore qu’il m’empoisonne à petit feu avec une de ses plantes mortelles qu’il persiste à laisser pousser dans ses champs. Cette plante peut provoquer un arrêt du cœur. J’ai peu de temps ! Il s’est ruiné au jeu et veut disposer de ma fortune au plus vite. S’il devait m’arriver malheur, je demande à ce qu’une autopsie soit faite.Il saura faire le plus de brouillamini possible pour sa sauvegarde mais j’espère, qui que vous soyez, que vous pourrez faire éclater la vérité au grand jour. Il m’a cabassée dès le début de notre union en me trompant et en volant l’argent de famille. Faites ce que vous voulez avec les bijoux et les pièces d’or, ils sont à vous.

Dites à ma famille que je les aime et que je regrette de n’avoir pas su réagir.

Clarisse »

Il y eu un grand silence suivi d’un brouhaha. Les réactions étaient variées, Merlin était atterré il avait dans les mains la quasi-certitude de la culpabilité du mari, quant aux artisans ils ne doutaient pas un instant que Merlin partagerait le trésor. Merlin voulut voir l’endroit d’où elle était tombée, il monta sur la terrasse accompagné d’un des artisans, qui pourrait aussi évaluer les travaux à faire.

En remuant un petit tas de cailloux il découvrit un cabochon de rubis qu’elle avait dû perdre avant d’être poussée par son mari. Une enquête fut diligentée. Le commissaire dû s’expliquer, canabassser un procès et examiner toutes les pièces plutôt rares du dossier. L’air chafouin et sournois, maître dans l’art de saisir de belle chape-chute, il réussit par une de ses pirouettes dont il avait le secret à retourner la situation à son avantage. Il avait là l’opportunité de profiter de la défaite de son ancien affidé pour se couvrir de laurier. Le meurtrier était retors mais cette fois il ne put chévir du commissaire qui avait compris bien avant lui que l’affaire était dans le sac. Il eut beau discuter, chicoter, il ne jouerait plus au coqueplumet, faisant des ronds de jambes et revêtu de ses plus beaux atours. C’en était fini de ses arguments délusoires. Il réussit cependant à terminer l’audience au lieu et place de son avocat, par une diatribe qui laissa l’assemblée ébaudie par tant d’aplomb et d’arrogance. Le jugement fut sans appel, Il sortit du tribunal, enferges par des menottes dernier cri.

il avait bien escoffié son épouse Clarisse pour son argent et dont il était devenu le seul héritier par un jeu de faribole et de gabegies. Merlin le vit passer la lourde porte, la tête haute, sans remords.

Ai-je bien fait de vouloir à tout prix vivre avec ma famille dans ce manoir au sinistre destin ?

Apostille : Les mots anciens sont tirés du « petit dictionnaire des mots rares et anciens de la langue française » de Didier MeralViviane

 

Le facteur
(qui ne sonne pas toujours 2 fois….)
Il l’avait tellement tourné en ridicule, babelé devant toute cette assemblée de bacaudes, qu’il avait
eu envie de danser la bacchanale sur le champ, sans préparation aucune . Danser bruyamment, dans une débauche de sons tumultueux, la bacbuc à la main. Loin de la cabalette, musique légère et mélodieuse, au risque de cabaner dans le fossé. Après il aurait pu cabasser tranquillement avec ses hôtes, un cabasset rempli de bon vin à portée de
mains. Mais il ne le ferait pas, il était trop timide. Il passait souvent pour le dabo, le dindon de la farce. Toute moquerie était comme un coup de dague dans la poitrine. Il faisait tout pour éviter d’en arriver là . Il se déplaçait le plus souvent, daguet, pour ne pas se faire remarquer , sans dail en mains, sans dalmatique sur le dos. Son copain Dalot ne se privait pas de le damasquiner quand il le voyait se courber, rentrer la tête pour se faire minuscule et se fondre dans le paysage .
– « Dame- Jeanne, criait-il, on te croirait poursuivi par la Danaide au soir de tes noces ! »
Ou bien, il le traitait de champignon , allez savoir pourquoi ?:
– « Espèce d’eauburon » lançait-il, le plus souvent accompagné d’eaurole et d’ébalaçon.
Dalot portait sa voix si fort, qu’à la fin il en était tout ébaroui. Lui, le timide, était tout ébaubi après ce déferlement d’injures. Loin de le faire s’ébaudir, ces épisodes le rendaient fabril. Il serait bien parti en faciende tant sa faconde lui manquait. Il ne savait toujours pas quoi répondre. Il n’était que facteur, après tout, il n’avait pas fait de grandes études, il n’avait pas l’idée factice, pas le raisonnement logique. Il avait plutôt un esprit factieux, désordonné. Par contre, c’était un bon factotum, il était excellent bricoleur.
Il serait bien parti en mer sur une gabare, au moins là il ne risquait pas de payer la gabatine ou d’être victime d’une gabegie. Il éviterait ainsi le gabelage, la gabelle et les gabelous. Plus personne ne se gaberait de lui, point de gabions ou de gables pour lui faire des gaffes ! Que du gagnage pour le facteur, il se contenterait de son gagnepain, de faire le galant ou même le galantin, l’essentiel étant qu’il puisse continuer à se régaler de galatées. Il resterait toujours discret sans jamais hâbler, lui le timide, sans hâbleries inutiles, gardant son air hagard rempli d’hagiasmes. Point de iambes récités, point de vêtements couleur ianthin pour se faire remarquer. Mais plutôt jabler, jaboter discrètement, éviter de jacasser. Il était tout kabak à l’idée de sa nouvelle vie. Tête de poireau

 

L’Abadir.

Quel triste sire, ce Saturne !!!
Il ne pense qu’à bouffer ! Hier, il s’en est pris à Jupiter. Pour un peu, il l’aurait croqué tout cru !, mais bon, Jupiter, quand même….
Alors, il s’est jeté sur un abadir, pour tromper sa rage et son courroux (et un peu aussi sa faim).Il se l’est avalé d’un coup, comme ça, pas croyable !
Il en est resté quelque peu abalourdi ! Pensez donc, un caillou, que dis-je, un caillou : une pierre, un roc, en lieu et place de son fils le roi des rois, le dieu des dieux, de Jupiter lui-même.
En fait, ce galet lui a juste servi d’abat faim, histoire de commencer légèrement.
Parce que, c’est un ogre, Saturne ! Il a déjà bouffé ses autres enfants, un jour de grand appétit, c’est vous dire ! Tout infatué de lui-même, il a décrété un abeillage, qui lui donnait droit, de droit civil autant que divin, de mettre main basse sur tout ce qui se peut déguster dans son secteur !
Vous imaginez ? Bon, après son caillou, non, sa pierre, son pavé, en tout cas pas son gravier, je vous le jure !
Il a eu un peu de mal à faire passer, il était confus, bégayait en essayant de faire descendre son doux entremet, parlait ad hoc et ab hac…  Les autres locataires de l’Olympe, cachés, qui derrière un cumulo-nimbus, qui derrière une colonne dorique, pouffaient, mais doucement, mais discrètement, tout effrayés à l’idée qu’un regain d’appétit le reprendrait d’un coup !
«  Vous avar tant d’abir » qui disaient les vils flagorneurs, pour l’amadouer, le frotter dans le sens du poil, le Saturne, avant que, ab irato, il se retourne vers ces petits dieux, menu fretin de l’Olympe, qui, ma foi, devaient craquer sous la dent comme crevette de la mer Egée. (Quoique, il m’en souvient, lesdites crevettes sont quelque peu abracantes aux gosiers délicats !)
La dernière fois qu’il s’en est empiffré un baril entier, il a claqué de la langue, roté, et déclaré en fin connaisseur : « Ca sent la mélancholie spumeuse abradante et salace ces crevettes ! »
Adonc, l’abadir passait mal. « Saturne pas rond » qui bougonnait, le trop gourmand. Et chacun de s’écarter, sur la pointe des pieds, discrets, discrets… Pas envie de finir en hors d’œuvre, ni même en plat principal !!! Et, tout là bas, dans le tréfonds, ses enfants, qu’il avait tortorés, ce monstrueux fils de Titans, se chauffaient la bile dans ses entrailles, poussant dans un virage du gros colon, l’abadir un peu lourdingue.
Ils fomentaient, se nourrissant de fiel contre le paternel, et se disaient que le frangin allait venir les délivrer, un jour ou l’autre. « Je crois que je souffre d’apostume… » Bêlait le Saturne en gigotant de l’abdomen qu’il avait fort distendu.  Et les marmots, dedans, tordaient les boyaux « bien fait, bien fait » jubilaient les divins morveux mal digérés.  « A moins que je n’eusse contracté un Avertin ? » «  Bien fait bien fait, » grinçaient les sales gosses.
« Ah, qu’on m’amène un chirurgien qu’il pratique une alvusion de cette progéniture, qui décidément me reste sur l’estomac ! »
Bien fait pour lui, entre nous, non ? On ne dévore pas ainsi ses propres rejetons ! Non, mais !

« Ou bien qu’on me prépare un tonneau d’axonge, pour adoucir mon pauvre intérieur.
Et, d’abord, qu’on m’apporte une barrique de Bacbuc, une dive bouteille ! »
Pendant ce temps, Jupiter, le seul rescapé des agapes paternelles, plein de rancœur et de colère, préparait son assaut. Tout de foudre vêtu, il s’apprêtait à délivrer sa petite famille boulottée par Papa. Il le voulait humilier, aussi, le frapperait- il de bacul (ça vous cajole le moral, ce truc là !)
« Ola, Vilain Balatron, » rugit-il en magnant son divin éclair (il avait regardé la guerre des étoiles !) . Assénant un grand coup de Banduria sur la tête de son Dab.
Le Barbon se ratatinait, à moitié sonné.  Jupiter, celui qui dirige toujours le bas peuple, de la terre à l’Olympe, fendit d’un coup la panse rebondie de son géniteur, et l’on vit sortir, grimaçant comme un troupeau de gremlins : l’un derrière l’autre, plein d’amertume et de fiel, Cérès, Junon, Pluton, Neptune, Hestia, prêts à se partager l’héritage de Papa.

«  Moi, je veux l’enfer,
Moi, le ciel,
Moi, la guerre, Moi la sagesse, Moi les voleurs, Moi, moi, moi … »

Jupiter, s’est bien sur, attribué le beau rôle, le plus grand le plus fort !
Ca n’a pas changé depuis, ce me semble !!!  Solange

 

L’ECRIVAIN ET L’ENFANT

Quentin s’acagnarde dans son fauteuil en rotin, sur sa terrasse. Sa tasse de thé à la main, il contemple les champs dont les ablais n’ont pas encore été rentrés. Ce spectacle l’accorse toujours, et il rêve avec acédie, c’est aconché. Il admire son jardin avec orgueil. A ses pieds, les adalies se prélassent, volant d’une herbe à l’autre. Il a fait frais cette nuit, et à l’ombre, l’aiguail décore encore les feuilles des roseaux d’une multitude de gouttelettes étincelantes.

Il entend des pas et il sait que son moment de grâce est terminé. C’est son voisin !!

  • Hello, dit celui-ci, belle journée !
  • Hello, oui, répond Quentin d’un salut de la main, tout en prenant la direction de sa cuisine. Il faut fuir !!
  • Vous sortez aujourd’hui ?

Quentin accélère le pas et le voilà à l’abri. Cet homme est un aliboron, sa stupidité atteint des sommets. Il erre son ambleure, s’ennuyant à mourir. Tout est critique de sa part, résultat de son ignorance. Au grand drame de Quentin, il a eu un héritage avitin, une ferme jouxtant sa propriété.

  • Quentin, venez-vous baler avec moi ?
  • Non, je n’ai pas le temps aujourd’hui, une autre fois, Raoul !

J’ai souhaité m’installer ici pour la paix, la solitude, maugrée Quentin , deux impératifs pour mon métier d’écrivain, et me voilà loti d’un vieux barbon à gros bedon, bolivar sur la tête, une véritable sangsue ! Je ne vois que très rarement son fils, il a l’air d’un boscot. Pauvre enfant, les yeux toujours baissés, traînant les pieds, il suit parfois tristement son père. Je ne pense pas qu’il ait les capacités pour l’école, c’est un pauvre cacochyme. Il fait peine. Je l’imagine demander la caristade dans le coin d’une rue sombre en tendant la main. Peut-être pourrais-je lui proposer de construire un casin avec moi dans le bois qui borde mon terrain. Il s’y plairait, j’en suis sûr. Je crois que je m’apitoie sur l’enfant au même degré que je déteste son père. Je m’aperçois que Raoul est toujours là, appuyé négligemment sur la balustrade, alors j’ose :

  • Tu m’amèneras ton fils un jour !
  • Pour quoi faire ?
  • Une promenade ou autre chose
  • Tu sais, c’est un petit chafouin, il ne marche guère bien !
  • Ça ira, ne t’inquiète pas !

En silence, Raoul tire ses chauuses-daquet.

Quentin soupire. Quelle idée saugrenue lui a traversé l’esprit ? Que va-t-il pouvoir accomplir avec cet enfant sauvage ? Il ne connait même pas son prénom ! Quentin ne fait que se dragonner. Célibataire, fils unique, ni neveu, ni nièce, que connait-il aux enfants ? Quel âge peut-il bien avoir ? A peine 10 ans. Aime-t-on les élégies à cet âge là ? Je pourrais lui lire certains de mes poèmes, ou quelques nouvelles. Je trouverai se dit Quentin, l’essentiel est de le séparer de temps en temps de son gavache de père.
Quentin se remet à sa table pour écrire, l’esprit préoccupé par sa proposition qu’il trouve de plus en plus surréaliste. Une heure à peine s’est écoulée lorsqu’il entend :

  • Quentin, je t’ai amené Yvon, comme tu me l’as demandé !
  • Mais je ne t’ai pas dit de revenir aujourd’hui !! Ni tout de suite !! Je travaille
  • Oui, ben maintenant, je te le laisse
  • C’est une gaudisserie, Raoul !!!!
  • Non, je vais boire un peu de guinguet avec les copains

Quentin reste abasourdi ! Yvon est seul de l’autre côté de la clôture. Une houce couvre ses épaules et un chapeau imbrifuge masque ses cheveux malgré la chaleur. Il ne bouge pas, lorgnant ses pieds. Quentin l’appelle avec lénité pour ne pas l’effrayer.

  • Viens-tu ? Allons saluer dame nature tous les deux

C’est ainsi que grandit une amitié naturelle entre l’écrivain et l’enfant sauvage. Yvon, grâce à la patience et la gentillesse de Quentin, devint un mâche-laurier, au grand bonheur du poète.

Un exemple de poème écrit par l’enfant devenu adolescent :

Une jeune fille étalait une belle manteline

Sur l’herbe fraîche au bord de l’eau

Un ménestrel, en admiration devant cette méchine

A ses pieds, jouait du bandjo

La rivière chantait doucement

Les milouins nageaient en caquetant

C’était un tableau charmant

D’une époque d’antan

Françoise Macy

A.E. D N° 12 Promenade en mer Le 19.05.20

Alors que le temps s’abeausissait , les quatre cousins, Aaron, Abélard, Acsel et Adèle s’en allèrent de bon matin vers l’aber miroitant au soleil levant. Arrivés devant cet aberhavre si paisible, ils s’arrêtèrent un instant, contemplant les ablais qui formaient des bandes d’or dans le champ voisin.

Avant de prendre le large sur le bateau, Captain Aaron réfléchit à la façon d’amener à s’aboucher ensemble ; en effet, ce jour devait être décisif concernant leur bien commun, cette vieille petite coque noire héritage du grand-père.

Il les observa tous trois, le jeune Abélard affublé au cou de cet abraxas trop brillant, le timide Acsel, très souvent abscons et la petite Adèle, matelote émérite qui, elle, était asthème. Il trouva cela dommage, car, afin de fêter l’évènement, il avait apporté une vieille bouteille de vin de l’ancêtre !

Lui-même, Aaron, se définissait comme abstrus.

Ils embarquèrent le matériel de pêche ainsi que des vivres pour la journée. Dans l’acade brillaient des gouttes d’eau telles des perles, la journée s’annonçait magnifique.

Aaron avait changé depuis qu’il s’était accointé avec un homme louche au possible et qui semblait le « mener en bateau ».

La légère brise soufflant du large accoisait ce lieu magique. Sur la côte Ouest de l’aber, les falaises accores abritaient de nombreux nids dans ses anfractuosités. Nous étions au printemps.

Aaron devait jouer serré ce jour, faisant accroire à ses trois équipiers des balivernes, leur faire avaler des couleuvres … Mais il se trouvait dans un accul et ne pouvait revenir en arrière !

Adieu-va dit-il aux trois marins, alors qu’ils sortaient de l’estuaire profond ! En manière d’admonition, Aaron leur promit adonc d’être leur affidé pour la vie … et leur fit miroiter des agapes pour le retour au port.

Avec grand ahan, la coque traçait la route dans l’aigue bleu/vert.

Il sentit en Acsel une alacrité de bon aloi … et crut que la chance lui souriait lorsqu’ils croisèrent, haut dans le ciel d’azur, un alcyon, oiseau si rare dans nos contrées. Et il lança aux trois camarades amarinés, sans ambages : « j’exige que nous vendions cette vieille coque … Je veux investir dans un bateau moderne, en aluminium afin de partir faire le tour du monde ; je vous dédommagerai à mon retour » … Et là, sur cette mer d’huile, les amers disparurent des trois paires d’yeux qui s’étaient emplis de larmes ; l’arbalestrille ne servait plus à rien, Adèle ardait de colère, elle jeta brutalement l’ancre à l’eau … Celle-ci ara les fonds marins, refusant de s’accrocher. Aucune argutie n’était plus possible ! L’armogan, qui jusque-là les avait protégés disparut.

Aaron avait osé s’atêter à leur bien le plus cher, leur héritage du grand-père tant aimé. Aaron, l’attrape-minon, avait sans doute pensé avoir affaire à des simples d’esprit… Mais tous trois, atturés, ne pensaient qu’à l’aumant de la coque de noix si chérie.

L’aures se leva en ce quatre du mois d’auriex … Le captain se tenait droit comme un « I », le navire se cabra, la rouge voile aurique s’abattit sur son corps, l’enveloppa en un linceul, se détacha du mât pour l’emporter dans les profondeurs insondables de l’Océan.

Adieu, toi qui te prenais pour l’  «Autrou », semblaient crier les goélands, tandis que les trois équipiers, après ces avanies, réussissaient à rétablir « l’Avocette » dont l’ancre avait enfin pu s’accrocher aux fonds.

Et, sous le ciel azurin, les trois cousins, hébétés, regardèrent les bulles remonter à la surface de l’océan qui virait au vert.

Joëlle le 19.05.20

Éléonore, comtesse

Broch-lionLe château, entouré de douves profondes, se dressait sur un promontoire d’où l’on pouvait apercevoir toute la région, et pour peu qu’on ait une vue perçante, cela allait jusqu’à cent kilomètres à la ronde. Tout autour c’était un plateau, creusé de gorges vers l’est et où languissait une rivière à l’ouest, serpentant à travers champs verdoyants et bois abroutis.

C’est là où vivait Èléonore, la vieille comtesse abstème qui faisait la guerre à tous « ses sujets » sur la question du vin. Elle avait fait arracher tous les pieds de vigne au décès du comte et depuis elle s’acagnardait dans cette demeure à demi en ruine, malgré les feuilles d’acanthe dorées à l’or fin qui ornaient la salle de réception.

Elle voyait peu de monde et son univers s’était figé dans le passé, mais peu à peu elle se sentait rattrapée par le présent. Elle dirigeait tout d’une main de fer et ne s’était accointée avec personne

Pour l’heure elle attendait le retour de son unique fils pour vendre le domaine. Elle espérait fortement qu’il n’ait pas prévu d’accordailles, ce qu’il avait tenté de lui faire accroire dans sa dernière missive.

Elle avait consulté ses acossoldahors qui l’avaient doucement mais sûrement poussée vers la vente et l’acréantement était déjà rédigé, il ne manquait que la signature d’un acquéreur et celle de son fils.

Tous ses admodiateurs devront s’accommoder du nouveau maître des lieux. Quant à elle ,elle prévoyait de s’installer sur l’adret , avec son fils qui ,son diplôme d’architecte en poche trouverait certainement à se placer.

Quelques agapes étaient prévues pour fêter son arrivée, de quoi le mettre dans les meilleures dispositions concernant le sort du domaine. Fréquenter tous ces gens agrestes lui déplairait à coup sûr, lui qui avait connu le beau monde à la capitale. Il ne s’aheurtera pas à cette idée de la cession de son alleu contre un bon prix, et cet alleu constituait la plus grande partie du domaine, elle ne possédait que quelques arpents.

Il est vrai qu’enfant il aimait aiguayer les chevaux et l’été, monté sur son alezan il rejoignait souvent à la rivière les fils de manants. Mais c’était loin tout ça.

Elle en était là de ses réflexions lorsque, de la tour où elle était montée,elle aperçut une voiture qui se dirigeait vers l’entrée du château. Elle crut y déceler une présence côté passager. Aussitôt elle émit le souhait que ce ne fut point une quelconque almée. La couleur amarante du véhicule la gênait, « trop voyant » pensait-elle.

Elle descendit accueillir l’équipage.

Mathieu- son fils-débarqua puis ,non pas une danseuse, ni une femme comme elle l’avait imaginé, mais un jeune homme brun aux yeux très bridés dont l’aménité la frappa si fort que ses mots d’accueil ne furent qu’amphigouris , ce qui fit rire Mathieu.

On ajoutera un couvert finit-elle par prononcer de façon audible.

Le nouveau venu découvrait l’endroit avec curiosité, posant des questions sur les portraits accrochés aux murs de la salle de réception qu’ils traversaient pour se rendre dans le petit salon où on servit des jus de fruits en guise d’apéritif.

Je vous remercie Madame d’être mon amphitryon. Vous me voyez flatté de dîner en votre compagnie, dit Jérôme .

Allons soit plus léger, fut la remarque souriante de Mathieu destinée à son invité.

Eh, bien, passons à table, ajouta la comtesse.

Ce disant elle cherchait par quel moyen aborder la vente du domaine.

Au dessert, elle se lança enfin :

Mathieu, j’ai pris un rendez-vous chez Maître Graciet demain après-midi

À quel sujet chère mère?

Eh, bien voilà. J’ai décidé de vendre le domaine, je me fais vieille et …

Mais comment ? Vous ne pouvez pas vendre autre chose que vos biens antiphernaux , le reste m’appartient.

Je pensais que tu serais d’accord car ce domaine est un gouffre, un puits sans fond, et avec ton diplôme d’architecte tu serais mieux en ville pour entrer dans un cabinet.

Mais je ne suis point architecte. J’ai fait preuve d‘apostasie. Me voilà diplômé certes, mais d’agronomie.

Stupeur de la comtesse qui s’empressa d’avaler deux grands verres d’eau.

Il faut bien que l‘apostume crève, autant que cela soit tout de suite. Que les choses soient claires. Je suis rentré pour reprendre le domaine en main, et en

premier lieu, faire replanter une grande partie en vigne. Jérôme a plus d’une corde à son arc. Il est graphiste, mais a aussi étudié l’œnologie. Il va m’aider. Je vais aussi planter des arbres-francs, des pruniers vraisemblablement. Enfin sachez que si vous persistez dans votre projet de vente, je suis prêt à racheter vos arpents et pour ce qui est des bijoux, vaisselle, tableaux et meubles, faîtes comme il vous plaira.

Enfin sachez encore que je n’ai rien d’un argousin et vais revoir tous les contrats que vous avez passés avec les fermiers qui s’en sont trouvés plus ou moins abusés.

Voilà, vous êtes mise au courant.

La comtesse en restait coite tandis que par la fenêtre ouverte entrait le parfums des asphodèles.

De qui donc son fils s’était-il assoté pour avoir tant changé. Elle ne le reconnaissait plus. Et que deviendrait-elle ?

Jonquille

Kerlaz le 30 mai 2020

cathy-120519_0005Le sac

Elle estimait être dans une accule. L’acédie quotidienne, avait achancri son esprit et son être tout entier. La maladie psychologique était à son acmé. Mais ce qui était  insupportable était d’en avoir conscience et de ne pouvoir rien y faire. L’acope aurait été un autre amour mais pour elle une autre illusion. Pour lui elle avait acquété cette maison confortable au bord de la mer. Une villa éloignée de tout qui aujourd’hui était devenue un ermitage. Elle s’aheurtait aux dérives de la solitude, ne savourant plus la beauté de ce qui l’entourait. Elle, l’ancienne almée se prélassait du matin jusqu’au soir sans aucune énergie. L’aménité des lieux qui quand il vivait avec elle la charmait n’avait plus  d’incidence. Elle s’était amusée dans les premiers temps, pensant encore que rien
n’était joué, à élaborer des antanaclases comme par exemple : l’amour est universel, l’amour est une farce ou la séduction s’emballe là où la séduction n’a aucune caractéristique, ou encore les femmes parfaites sont de parfaites femmes inconnues… L’antitrope a cessé. L’apagogie sur l’amour aussi. Car bien malgré elle la vérité insidieusement avait été révélée. Elle se souvient encore, quand gracieuse, pulpeuse, insouciante et heureuse, tournant sur elle- même en se contemplant dans le
psyché de la chambre, elle remarqua une enveloppe blanche sur le magnifique parquet en chêne. Étonnée de ce désordre dans cette pièce si luxueuse et rangée plusieurs fois dans la journée par l’employée de ménage, elle allait s’en aller en se disant que Mll Espert passerait par là et la rangerait; Mais, elle se ravisa quand elle se rappela que Mll Espert était en congé ce jour là. Plus tard, bien plus tard elle s’interrogera sur son attitude. A quel moment était-elle devenue maniaque? Cela ne lui ressemblait pas. Auparavant, elle ne prêtait pas grande attention aux rangements ou à la pagaille! Parfois même jugeait que l’éparpillement de ses affaires relevait d’un certain ordre. La question était aporétique. La lettre découverte dans l’enveloppe blanche, une lettre innocente, administrative, quelconque, qu’elle aurait pu jeter dans la poubelle était remplie d’apostilles. Proche de berquinades voilà ce qu’elle pouvait en dire, car l’écriture un peu penchée, élégante, juste, régulière , très stylée était bien celle de Pierre et ne lui était pas destinée. Dans le tiroir de son chevet, elle conservait les correspondances, celles du début de leur idylle, comme des bétyles. Les blandices étaient sans équivoques. Toutes ses petites attentions qui à chaque fois avaient créé des bluettes dans son coeur.
Il fut un temps ou tellement effarée, elle aurait été prête à préparer un boucon.
Ce jour là le catégide semblait être annonciateur des troubles de l’avenir . Elle n’avait rien d’une femme cauteleuse . Les inscriptions manuscrites sonnèrent en elle comme un calvaquet. Tous ses sens en éveil, ce fut un choc. Que faire? Que dire? Comment accepter l’inacceptable ? Les histoires des autres, de ceux qui sombraient dans des amours trompées, et qui s’acharnaient à les faire exister ne la concernaient pas. Elle les voyait comme d’étranges circonstances humaines dues aux manques de clairvoyances, aux défauts d’intelligences, aux leurres cupides ou confrontés à la naïveté la maturité des uns ou des autres était déficiente. Elle vivait dans un cénacle, là ou le monde hostile ou populaire, le monde vulgaire n’avait de sens que dans l’analyse. Vivait-elle dans
un cénotaphe? Avait-elle ce jour là levée la pierre tombale de sa crédulité? Sa maison était-elle cernée par des chanceaux imaginaires qui la protégeaient de toute humiliation? Ce qui la cernait, dans cette propriété de rêve n’était pourtant qu’une charmille. C’est ce qu’elle voyait réellement autour d’elle. L’homme, les hommes, tous les hommes ne savaient faire que des chattemites. Ses certitudes, sa confiance, son confort , son bonheur, tout s’écroulait. Il aurait été préférable de vivre dans une chaumine. Jour après jour elle se chêmait. Les chevalis de quelques espoirs n’apparaissaient pas. La lettre qu’elle avait soigneusement rangée dans son sac, là où personne n’oserait fouiller,
l’obsédait, la tiraillait, un poison devenu un secret qu’elle emportait avec elle où qu’elle aille. Cela dura quelques mois. Son mari s’étonnait d’ailleurs de la voir toujours avec le même sac. Il plaisantait là-dessus, en lui disant qu’elle en avait une dizaine, et que même si celui-ci était très beau il trouvait que parfois il n’était pas en harmonie avec certaines de ses tenues. Il lui offrit d’ailleurs un très beau sac d’un grand couturier. Elle le remercia et le remisa au placard. Il n’insista plus. Elle aurait pu changer de sac et enfouir sa lettre à l’intérieur de celui-ci. Mais, elle ne voulait plus la toucher, elle ne voulait pas être tentée de la relire. Elle connaissait le contenu, chaque mot était inscrit dans sa mémoire. Elle voulait l’avoir avec elle en permanence pour ne pas oublier dans
les moments où ensemble heureux, lui affectueux, elle aurait pu céder à cet envoûtement. Il ne comprenait pas son changement d’attitude. Elle parlait peu, de moins en moins. Il lui aurait fallu un cicérone de la psychologie humaine. Son idée fixe était l’amour cinéraire. Et de plus en plus il laissait place à l’indifférence. Si encore la haine avait pu l’envahir, une échappée aurait été possible. Sans évoquer ce sentiment exagéré, ne serait-ce que la colère ou le mépris, un effet de caractère qui fait vibrer, qui fait réagir aurait été préférable à ce qui ressemblait à un abandon. Elle s’enfonçait dans un âge climatérique. Il n’y avait pas d’issues, car rien ne transparaissait. Personne pour se
condouloir avec elle. Le secret convoluté sur elle était invisible. Le temps de l’agonie de l’amour s’étendait, maux de têtes, souffrances passagères anodines, étaient prétextes à la langueur. Le repli avait pourtant de temps en temps des pulsions de réflexions. Le passé était empli de faux souvenirs. Tout ce qui avait pu être de l’ordre de l’anecdote rebelle, de réprimandes devenaient la cause de sa situation. Sa mère avait-elle vraiment aimé son père et inversement? Elle était la deuxième enfant de la fratrie, un frère aîné et un petit frère, trois enfants nés les uns après les autres, une seule année les séparait Avait-elle été désirée? Ses parents travaillaient l‘un et l’autre. Alors que jusqu’à présent
cela n’avait jamais été un obstacle, elle pensait aujourd’hui avoir été victime de leurs absences. Des gens heureux et amoureux qui lui rendaient visite régulièrement, très affectueux , trop tendres, trop chaleureux, elle qui se ventait d’avoir une famille unie, ne supportait plus ce débordement sentimental. La dase n’avait plus de légitimité. Elle n’avait pas d’enfant, n’en avait pas voulu. Était-ce de l’égoïsme? Elle était tellement affairée à elle même et a lui qu’un enfant aurait terni leur relation. C’était elle trompée? Peu-être qu’un enfant aurait pu avoir de l’influence et consolider le couple? Mais non, il continuait à l’aimer. Il ne cessait de lui dire. Pourquoi cette hypocrisie? À chaque fois qu’il la complimentait, qu’il lui témoignait de son amour pour elle, alors qu’elle aurait
pu céder, le sac la rappelait à son drame. Pierre semblait désespéré en la voyant ainsi dépérir. Elle avait à un moment donné pris conscience qu’il faudrait peut-être qu’elle ignore la lettre, celle-ci n’était pas datée, un doute qui fut bref la submergea quand même. Elle savait aussi que son état pouvait le lasser, mais concluait que de toute façon; même si elle avait fait l’effort de le reconquérir, la blessure résisterait. Ce n’était plus d’ailleurs lui qui était en cause, mais sa vision romantique de l’amour. Deux êtres pouvaient-il s’aimer, dans la définition et l’éthique qu’elle avait de l’amour?
Dans sa foi en lui. Elle aurait pu lui faire part de la lettre et demander une déprécation, mais là encore à quoi bon? Les sujets désultoires n’avaient pas de poids. L’impasse de sa vie se révélait. En aucun cas une deutérose de l’amour ne se présenterait. Elle était sujette à une diaphorèse par intermittence qui inquiétait. Elle se réfugia dans des diatribes, rédigées dans un carnet noir puis les brûla. Le dictamen de sa conscience était puissant. Elle se dragonnait ( presque en permanence en dyscoles . Ce n’était pas de l’effance, bien au contraire. Alors que l’effluence efféreé dominait, elle décida le mutisme comme seul échange et s’enferma dans sa douleur. Ne se nourrissant presque plus, on la retrouva inerte, son coeur avait lâché. Pierre était inconsolable. Il soupçonnait quelques empuses Son humeur d’habitude équanime était morose. Cherchant une évagation, il ouvrit le sac qui maintenant devenait presque l’emblème de son amour perdu. A
l’intérieur de la petite poche à glissière, il trouva l’enveloppe. Il l’ouvrit. Il ne comprit pas qu’elle ait pu conserver cette vieille facture d’électricité sur lequel il avait fait des annotations sur les bienfaits d’un nouveau système d’éclairage et de chauffage. Il la jeta à la poubelle, et mit le sac sur la console dans le vestibule en guise de relique. C.MARC

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