La nuit était encore noire et profonde lorsque je descendis ce matin-là, savourant à l’avance ce pain doré-maison, ces crêpes si sèches qu’elles ressemblent à du papier gris et ce thé vert infusant dans cette théière fuchsia qui m’accompagne depuis des décennies … Culottée de brun, un brin cabossée, avec son petit chapeau gris et sa légèreté idéale pour le voyage, je la remercie chaque jour d’exister!
Et là, sous mes yeux endormis, que vois-je trônant au centre de la table ronde vêtue d’un de ces tapis « de vieux » à petites touches multicolores, que vois-je, me dis-je en me pinçant pour être sûre d’être bien réveillée?
M’observant dans le halo de la lumière jaunâtre du lendemain, un coq figé dans une position arrogante, vous savez, ce type de coq à robe noire, à plastron jaune, orange et brun, portant, fièrement dressée, la plus belle crête rouge qui soit!
L’animal aux yeux si vifs semblait vivant, et me regardait à travers un liquide transparent, du formol peut-être? … contenu dans un aquarium cubique à armature assortie au costume du coq …
Un rêve se continuait-il sous mes yeux ébahis ? Je m’approchai et touchai prudemment le verre transparent et glacé … Rien d’onirique, La bête était bien là!
D’où venait cet objet?
Pourquoi était-il chez moi?
Qu’allais-je en faire?
Accessoirement, où se trouvait mon époux, Lannig, qui en savait peut-être plus?
Et je me mis à rire en imaginant l’oiseau cuisiné dans un riesling jaune entouré de tagliatelles fraîches … Je tirai le rideau, observai le jardin plongé dans l’obscurité … Personne n’apparut pour me parler de farce ou de cadeau incongru. Seule la noirceur et une demi-lune blanche glissait vers le Ponant. Au loin les coqs chantèrent; j’aime le chant du coq, il me rappelle une île grecque si blanche, une fenêtre bleue ouverte sur le village, la symphonie des coqs appelant le jour à se lever.
Etais-je certaine de vouloir prendre mon thé en face de cet invité de la première heure? Non pas qu’il fut bruyant, mais tout de même, nous n’avions pas été présentés! Et je l’enveloppai illico d’un plaid à carreaux bleus …
Alors, coïncidence incroyable, regard dans le vide et bouilloire inox ronronnant, la radio annonça: pour les matinaux, voici «le coq et la pendule» de Claude Nougaro (pour ceux qui veulent l’écouter: youtoube, hi hi )!
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Tous les goûts sont dans la nature…
D\’ailleurs ce coq avait bon goût
Car la pendule était fort belle
Et son tic tac si doux si doux
Que le temps ne pensait surtout
Qu\’à passer son temps auprès d\’elle
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
De l\’aube jusqu\’au crépuscule
Et même la nuit comme un hibou
L\’amour le rendant coqtambule
Des cocoricos plein le cou
Le coq rêvait à sa pendule
Du Poitou
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ça faisait des conciliabules
Chez les cocottes en courroux
\ » Qu\’est ce que c\’est que ce coq, ce cocktail,
Ce drôle d\’oiseau, ce vieux coucou
Qui nous méprise et qui ne nous
Donne jamais un petit coup dans l\’aile ? \ »
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Ah, mesdames, vous parlez d\’un jules !
Le voilà qui chante à genoux:
\ » Ô ma pendule je t\’adore
Ah ! laisse moi te faire la cour,
Tu es ma poule aux heures d\’or
Mon amour \ »
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Il est temps de venir à bout
De cette fable ridicule,
De cette crête à testicules
Qui chante l\’aurore à minuit
\ » Il avance ou bien je recule \ »
Se disait notre horlogerie
Qui trottinait sur son cadran
Du bout de ses talons aiguilles
En écoutant son don Juan
Lui seriner sa séguedille
Pour imaginer son trépas
Point n\’est besoin d\’être devin
La pendule sonne l\’heure du repas
Coq au vin
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Source : LyricFind
Paroliers : Maurice VANDER / Claude NOUGARO
Paroles de Le Coq et la Pendule © Les Editions Du Chiffre Neuf
Ah, les habitudes; après cette chanson, je souris en pensant au coq au vin de Claude Nougaro … le coq au vin représente pour notre pays un des fleurons de la cuisine. En chaque Français sommeille un coq mijoté qui le fait rêver … A Chinon, dans une vie antérieure, un coq au vin rouge nous fut servi intra-muros dans une courette du Moyen Âge …
Où l’on retrouve aussi le coq nordiste, cuisiné à la bière sur une sauce de champignons si bruns, avec ces échalotes longues et graines de genièvre noires. Une pointe de piment, un pot de crème et hop, à table!
En voyant ce coq j’ai tout de suite pensé à la cuisson d’un jeune coq au riesling, avec de l’eau de vie de prunelles … Deux heures en cocotte (!) … J’en salive dès le matin.
La poule au pot d’Henri IV était-elle un coq? Souvenez-vous, il avait promis que chacun de ses sujets puisse mettre l’animal au menu chaque semaine.
Le coq et la nuit! C’est aussi indissociable que son pendant, «la poule et l’œuf » ! De la nuit ou du coq qui est arrivé premier?
Quel est le mécanisme interne niché dans le cerveau d’un coq pour qu’il chante juste avant l’aube? Ce n’est pas une question d’horloge, ni de pendule d’ailleurs, car chaque jour est un nouveau jour, quelques minutes en plus, ou en moins …
Ô les réveils sous la tente, où les coqs se répondent, de poulailler à poulailler, alors que clignent les dernières étoiles et que, dressé sur ses ergots l’animal s’égosille jusqu’à faire apparaître l’aurore aux doigts de rose, comme le dit le poète.
Dort- il la nuit? Se réveille-t-il avant l’heure H? Est-il un nocturne ou un diurne? Qu’en pensent les dernières chouettes, nocturnes hululant lorsqu’il lance son premier «cocorico» à la campagne et au monde? … Car le coq reste un animal semi-rural au XXIème siècle … Qui ne connaît pas d’exemples de procès intentés au coq chanteur par des néo-ruraux agacés par ces réveils nocturnes?
Que dire du coq symbole de transmission à travers notre histoire commune?
Remontons à la Gaule, avant la conquête de Jules C … Une légende, liée au coq au vin, raconte que Vercingétorix fait envoyer un de ces volatiles, combatif, hargneux, orgueilleux à César qui assiège Gergovie; en guise de réponse, Jules invite le chef Arverne à une «Céna» où il fait servir son coq mijoté au vin … Enervé, Vercingétorix remporte la victoire contre les Romains à Gergovie. Et le coq (gallus) devient le symbole de la Gaule (Gallus).
Arrivent les chrétiens pour qui le coq symbolise le retour du jour, le bien, contre la nuit, le mal … Il précède l’invention des cloches, coq chantant = heure de la prière pour les croyants. Tel le christ face à la difficulté, il devient girouette face au vent… et coiffe les clochers.
Et les siècles défilent …
A la Révolution, il remplace la fleur de lys sur les pièces de monnaie … Il devient l’insigne des maires, apparaît sur les timbres, le papier à cigarettes (OCB, le coq gaulois)…
Après la première guerre mondiale, il est représenté sur les monuments aux morts, devient l’emblème des sportifs,(FFF), et de leurs vêtements (le coq sportif) …
Jusqu’à notre président jupitérien qui vit derrière la «grille du coq» en son château!
J’en étais là de mes réflexions, le thé avait refroidi, le coq avait ôté son plaid, lorsque, surgi de la nuit en pyjama rayé, apparut à la porte mon époux qui annonça: « lors, ce cadeau, il te plaît?»
Devant mon air ahuri, il continua:cela fait trois ans tu ne jurais que par un «beau bélier noir à cornes enroulées», l’an dernier tu étais folle d’un chat à yeux et pelage orange nommé Shabbat, et depuis cet hiver, après chaque balade, c’est devenu: «si tu voyais ce petit coq noir et ses quatre cocottes, j’ai réussi à le faire chanter 20 fois l’autre soir, en plein confinement en plus, il devait me prendre pour une de ses vieilles poules» … Donc, lorsqu’ au «croazhent Mard’had» du bourg, j’ai trouvé au rayon «kitscherie» cet objet original soldé à 50% , je me suis dit: «C’ est exactement ce qui lui manque, une bête à qui parler … Joyeux premier avril«!!!