Remedios Varo Uranga
Un matin clair, Eglantier décide de monter au dernier étage de son immeuble.
Il sait qu’une certaine Remedios Varo Uranga habite ce dernier étage.
Il a vu son nom sur une boîte aux lettres au rez-de-chaussée.
Il grimpe pallier par pallier.
A mesure qu’il monte, il entend la machinerie hydraulique de l’ascenseur se mettre en branle.
Bientôt la cabine le dépasse, ses câbles de traction défilent.
Il a le temps d’apercevoir une femme.
Il entend la grille de la porte de l’ascenseur s’ouvrir et se refermer en grinçant au-dessus de lui.
Un peu essoufflé, il atteint le dernier étage. L’unique porte de cet étage est entrebâillée comme c’est le cas de la plupart des portes de son immeuble. Il frappe à la porte. Une voix l’autorise à entrer.
Tout vacille autour d’Eglantier. Ce qu’il voit, en face de lui, c’est une femme-oiseau assise sur un banc solidaire d’une table octogonale. Elle tient dans sa main droite un peu osseuse, un pinceau qu’elle promène sur une feuille dont un petit oiseau bleu est en train de s’envoler alors qu’elle termine d’en peindre la queue. Dans sa main droite elle tient une sorte de loupe triangulaire, de prisme qui difracte un rayon provenant d’une étoile. Les trois nouveaux rayons viennent frapper la feuille et semblent aider l’oiseau à s’extirper de son support pour s’envoler vers l’une des deux fenêtres à arc en plein cintre de la pièce. L’oiseau est bleu, puis gris, puis brun.
Sur la table est posée la palette de l’artiste. Un dispositif de laboratoire de chimie avec des tubes et une boule en verre pénètre dans la pièce au travers d’une fenêtre circulaire pour aboutir après quelques virages au sommet d’une sorte de robot dont le corps est constitué de deux ovoïdes reliés par une tige avec une boule centrale et un petit robinet.
Les deux ovoïdes sont maintenus par trois tiges verticales comme un trépied.
De l’ovoïde supérieur, sort un tube de verre évasé à sa base et prolongé par trois griffes d’où sortent les couleurs primaires qui viennent approvisionner la palette. Un oiseau picore sur le sol.
La pièce, très vide, contient, adossé à un mur, un coffre monté sur quatre pieds, équipé d’une manivelle et surmonté d’un entonnoir ainsi que deux amphores-fontaines qui échangent leurs jets d’eau. Au dehors c’est la nuit avec quelques nuages, l’étoile brille.
Les fenêtres sont des ouvertures sans carreaux. La pièce a un plafond voûté comme dans une cave ou un monastère. La femme a une tête mi-femme mi-hibou avec deux grands yeux aux paupières baissées. Son cou, couvert de plumes, se prolonge par une parure de plumes sur ses épaules.
Les manches bouffantes et plissées de sa chemise sont blanches. Son pantalon est de plumes grises.
Ses pieds sont nus sur un carrelage de dalles. Elle porte en pendentif un petit violon relié à son pinceau. Elle est absorbée dans sa composition musicale, colorée et lumineuse d’une pâleur d’étoile.
Paisible, recueillie, des oiseaux naissent par sa magie et s’envolent vers la nuit.
Cependant, l’oiseau n’hésite-t-il pas à sortir, n’est-il pas plus facile de rester à l’intérieur, à picorer ?
Eglantier regarde ce prodige se dérouler sous ses yeux. Il pensait pourtant qu’il faisait jour et ensoleillé au dehors. Il se tait, se fait tout petit. Il se sent glacé de terreur face à cette chimère qui exerce son art miraculeux. Un instant elle lui jette un petit regard malicieux et ne tarde pas à se réimmerger dans son travail. Eglantier s’éloigne à reculons, se retrouve sur le pallier et ferme la porte doucement sur ce prodige. Chancelant, il redescend la moquette de l’escalier à pas feutrés.
Léa