Léonard et le léopard d’Isabelle M

Léonard et le léopard
Léonard est adepte des réseaux sociaux : plus de cinq mille abonnés le suivent. Il
passe des heures à poster des vidéos et des clichés de ses chats. Il possède deux
matous qu’il vénère, un européen roux et un siamois. Le jeune homme collectionne
les cadeaux gagnés à l’occasion de concours de photos amateurs. Ces derniers sont
valorisants, ils lui apportent une certaine reconnaissance. Accro aux « likes », il
consulte ses notifications toutes les deux minutes, le coeur battant.
Ce matin, il a découvert, avec plaisir, un nouveau concours, organisé par l’animalerie
en ligne Zoobug. Trois smartphones de la dernière génération dotés de la 5G sont à
gagner. Le but du jeu est de prendre un selfie en compagnie d’un animal. Les trois
photos les plus originales doivent l’emporter. Le concours se déroulera en deux
temps. D’abord, les internautes voteront pour les meilleures photos. Puis un jury
désignera les gagnants.
Léonard est un passionné et il rêve de gagner ce smartphone qui représente pour lui
presque un mois de salaire. Mais comment se distinguer parmi les milliers de
participants ? «Original », qu’est-ce que cela signifie ? Si, au moins, il hébergeait un
serpent ou un octodon !
Léonard décide de tricher un peu. Dès le lendemain matin, Il se résout à pénétrer dans
le parc animalier tout proche, avant l’ouverture. Équipé de sa perche à selfie qui lui
permet de faire des autoportraits, il escalade l’enceinte en bois. Portant son sac à dos
bien lourd, il passe par-dessus la barricade, non sans s’égratigner les doigts sur des
échardes. Il lâche un juron, priant pour que le zoo soit vide et qu’il ne croise pas de
soigneur.
Le premier animal qu’il rencontre est un hippopotame. Léonard nage jusqu’à lui,
manquant de se noyer dans sa mare. Il réussit à se photographier, souriant, aux côtés
du mammifère, lequel baille à s’en décrocher la mâchoire.
Trempé et frigorifié, il s’approche des chimpanzés. L’un d’eux entreprend un
épouillage consciencieux de sa chevelure, décolorée, à la pointe de la mode. Léonard
n’oublie pas de faire un selfie, persuadé que la photo sera cocasse.
Échevelé et grelottant, il s’approche des zèbres. Il prend une photo à gauche de l’un
d’eux, en lui flattant l’encolure. Une brusque ruade vient vite interrompre la séance.
Puis c’est au tour des girafes. il s’avise de grimper à un acacia pour se retrouver à
hauteur de la tête de la girafe. Il réussit son selfie avant de perdre l’équilibre. En
tombant, dans un grand fracas de feuilles froissées, Il abîme des branches et se foule
la cheville. Il s’est réceptionné sur un tas de bouses malodorantes.
Avant de repartir, clopin-clopant, il aperçoit un léopard assoupi, un très bel animal. Il
ne peut résister à la tentation de s’introduire dans son enclos. Ceci fait, Il sort de son
sac une barre de céréales pour attirer le fauve, sans aucun succès. Il pianote sur son
smartphone : « Que mange un léopard ? » À peine a-t-il le temps de lire la réponse
que l’animal s’approche de lui. Ravi, il s’immortalise aux côtés du léopard, avant
qu’il ne lui morde le bras. Il hurle et fait fuir l’animal en le menaçant de sa perche à
selfie puis réussit à s’extraire de là, en boitillant.
Léonard s’échappe du parc, le bras ensanglanté, maudissant ce fichu concours. De
retour chez lui, il désinfecte la plaie, heureusement superficielle. Il y appose un
bandage qu’il prend en photo, pour les réseaux sociaux, détaillant sur sa page
personnelle ses mésaventures. Après une bonne douche, Léonard, en tenue
décontractée, ne cesse de vérifier ses notifications. Ses fans tardent à réagir. Léonard
est nerveux et tourne en rond dans sa chambre, en claudiquant.
Le jeune homme regarde les photos qu’il a prises. Celle aux côtés de l’hippopotame :
soporifique, celle auprès du singe : ridicule, celle à gauche du zèbre : trop floue, celle
à droite de la girafe : mal cadrée mais élégante, enfin celle en compagnie du léopard :
magnifique ! Il passe sa soirée à retoucher les images au moyen de Photoshop.
Le lendemain, il télécharge sa préférée sur la page du concours, qu’il intitule
fièrement « Léonard et le léopard ». Les premiers commentaires fusent : « Léonard a
l’air plus sauvage que son léopard », « léopard / Léonard : jeu de mot pitoyable ! » ou
encore « Je trouve la robe de ce léopard limite vulgaire ». Mais la photo fait le buzz,
elle est partagée et les « likes » s’accumulent. Ses admirateurs habituels estiment
qu’il est allé trop loin et qu’il a pris des risques inconsidérés. Ils se désabonnent en
nombre de sa page. Léonard a perdu ses fans les plus fidèles et sa plaie commence à
suppurer. Il ne manquerait plus qu’on le dénonce à la police pour effraction, ce serait
le pompon.
Soudain, on frappe à sa porte :
— Police, ouvrez !
Cette fois, il a vraiment tout gagné !
Isabelle, le 6 janvier 2021

Léonard couronné
Léonard a gagné un smartphone de la dernière génération, lors d’un concours de
photo animalière, sur les réseaux sociaux. Son selfie, en compagnie d’un léopard,
s’est classée troisième, après un dauphin rose et un boa constrictor. Toutefois, il a
enfreint la loi pour prendre le cliché, entrant par effraction dans le parc zoologique
voisin. La police, avertie par des internautes, est venue lui rendre visite. Une des
policières, Hélène était une vieille connaissance. Ils étaient dans la même classe en
seconde. Il ne coupera quand même pas à un rappel à la loi. Mais cela lui a donné
envie de revoir Hélène. Elle lui a laissé sa carte en cas de besoin et il s’est promis de
la rappeler. La jeune femme ne manque pas de caractère et même si elle est un peu
autoritaire, il est sous le charme.
Ce soir là, comme à son habitude, il consulte les nouveaux concours de photos sur
internet. L’un d’eux attire son attention, il s’agit d’un concours de photos de chats
organisé à l’occasion de la galette des rois, par une nouvelle animalerie en ligne,
Animobile.fr. À la clef, deux safaris en Afrique (dès que ce ne sera plus déconseillé),
un séjour à Thoiry et divers lots plus ou moins intéressants. Léonard se verrait bien
partir en Afrique avec Hélène. Il l’invite à partager une galette. Il gardera la couronne
et la placera sur la tête de l’un de ses chats : Pharaon, l’européen roux ou Sphinx, le
siamois. Grâce à son nouveau smartphone, le rendu devrait être prometteur.
Hélène, amusée de son audace, accepte son invitation chez lui. Léonard choisit la
meilleure pâtisserie de sa ville. C’est lui qui obtient la fève, il donne la couronne à
Hélène qui l’emporte avec elle. Complètement hypnotisé par la jeune femme, il en
oublie de prendre la photo. Après avoir devisé joyeusement, ils se sont promis de se
revoir.
Léonard se souvient que lors de son ancien travail – il travaillait dans un hôtel – , une
de ses anciennes collègues, Pamela, avait été nommée miss camping. Il lui demande
si elle veut bien lui prêter sa couronne. Celle-ci, flattée, accepte de la lui confier
jusqu’au lendemain. Léonard réussit à prendre un magnifique cliché de Sphinx en
tenant la couronne au dessus de sa petite tête. Avec Photoshop, il efface tout vestige
de sa main. Le résultat est du plus bel effet. Les yeux azuréens de Sphinx
s’harmonisent avec les reflets bleutés de la couronne argentée.
Léonard poste le cliché sur le site du concours amateur. Il jauge les nouvelles photos
postées, en retenant son souffle. Au bout d’un mois, à guetter le résultat de ce
concours, il reçoit une notification. Classé deuxième, Il est le gagnant d’un safari en
Afrique pour deux personnes. Il exulte. Mais un dilemme se pose à lui : avec qui
partir ? Hélène ou Pamela ? Pamela lui a permis de gagner grâce à sa belle couronne
mais il est fou d’Hélène. Passant sa main nerveusement dans ses cheveux décolorés,
Il se résout à téléphoner à cette dernière.
— J’attends ton coup de fil depuis un mois, je me suis fait une raison, tranche-t-elle.
Dépité, il appelle Pamela qui accepte avec joie, ça lui fera enfin des vacances. Mais
dans la soirée, Hélène qui a changé d’avis le rappelle…

Léonard dans la savane
S’envoler un jour pour l’Afrique, Léonard, ne l’avait jamais envisagé, avant ce concours de
photos. La crise sanitaire était pratiquement surmontée. Le trafic aérien avait repris. Il
s’apprêtait à partir avec Pamela.
Choisir entre Hélène et Pamela s’était avéré épineux. Mais il savait que la jeune miss
camping ne prenait jamais de vacances. Il voulut épargner une fausse joie à la jeune femme.
Hélène avait compris, il lui avait certifié que Pamela n’était qu’une amie, ce qu’elle avait
feint de croire. Ils se retrouveraient à son retour.
Approcher de Nairobi, avant l’atterrissage, donnait des frissons à Léonard. Les deux amis
étaient placés au dessus de l’aile et Léonard eut bien des difficultés à réussir ses photos
aériennes. Il aurait fallu changer de place. Néanmoins, il n’osa déranger l’hôtesse. Il confia
ses tracasseries à Pamela, laquelle n’avait pas froid aux yeux. Elle héla un steward, lui
expliquant que son voisin était un grand photographe : il souhaitait un siège doté d’un point
de vue plus attrayant. Léonard fut invité dans le cockpit, sur un strapontin derrière le
commandant de bord. Là, grâce à son smartphone, il prit des clichés grandioses.
Débarquer dans un hôtel de Nairobi avant le grand départ, en 4×4, vers la réserve était déjà
une aventure pour les deux amis. Au matin, Pamela, Léonard et les deux autres gagnants du
safari, accompagnés d’un guide / chauffeur, prirent la route. Pour l’instant, pas d’animaux, il
fallait se montrer patients. Nulle trace des lions, rhinocéros, éléphants, guépards ou buffles
escomptés. Ils étaient secoués sur la route cabossée et la poussière leur piquait les yeux.
Prendre des photos, même au milieu de nulle part, était une seconde nature chez Léonard. Il
aperçut, à travers son écran, un camion occupé par des hommes armés. Effrayé, Il dissimula
le portable dans son jean. Ils furent aussitôt alpagués par ces assaillants, lesquels leur
parlaient dans un anglais approximatif.
S’enfuir semblait trop risqué. Ils se laissèrent embarquer dans le gros camion sur des routes
impossibles. Déjouer la surveillance des ravisseurs paraissait difficile. Toutefois, à la nuit
tombée, alors que leur gardien s’était assoupi, Léonard, Pamela, le guide et les deux
touristes, parvinrent à creuser un tunnel à l’arrière de la cahute qui les maintenait
prisonniers. Ils s’échappèrent à pas de loup.
Humer les odeurs de nature sauvage et cette liberté retrouvée les galvanisaient. Ils se
perdirent dans la savane. Le safari s’était transformé en stage de survie. Heureusement,
Léonard avait encore de la batterie sur son téléphone, caché dans son jean. Le guide les
rassura : Il suffisait de marcher pour trouver un endroit couvert par le réseau. On viendrait
rapidement les secourir. Au pire, il faudrait attendre de croiser un véhicule sur une route.
Tout à coup, ils entendirent un feulement, derrière eux. C’était le cri d’un léopard

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