APE
La réunion traînait en longueur, on pouvait sentir de la lassitude dans la salle, les chaises grinçaient, on entendait des bâillements et des toussotements d’impatience. C’était l’Assemblée Générale de l’Association des Parents d’Élèves qui suivait de peu la rentrée scolaire. L’horaire était tardif pour permettre au plus grand nombre de participer; malgré cela, l’assistance était clairsemée.
Le Bureau de l’année précédente avait présenté son bilan et l’heure était maintenant au renouvellement de ses membres, certains ayant présenté leur démission ou ayant quitté l’école : la nomination du nouveau Bureau, ce moment attendu et surtout redouté, même si l’ambiance restait bon enfant !
La secrétaire souhaitait continuer sa fonction qu’elle assurait depuis déjà quelques années. Elle en connaissait toutes les ficelles. C’était une femme petite, à l’air décidé, avec des yeux bruns et des cheveux auburn qu’elle balayait en arrière tout en parlant. Son visage mobile s’ animait quand elle attaquait son sujet, elle s’exprimait clairement et semblait très compétente.
La trésorière, Sylvie* devait céder le poste, car elle avait un nouveau travail qui la rendait moins disponible. Jolie jeune femme blonde aux traits réguliers, avec des cheveux longs libres sur les épaules, elle portait des bijoux clinquants : on voyait des grands anneaux dorés briller à ses oreilles et de nombreux bracelets cliquetaient quand elle agitait les poignets. Cintrée dans des vêtements noirs, elle arborait un sourire chaleureux et avait exposé son bilan sans problème particulier.
Le Président, Corentin*,quant à lui, quittait l’école , son fils entrait au collège, il était inévitable de le remplacer. Derrière ses lunettes rétro, il affichait un air détendu et compréhensif, et se disait prêt à apporter son aide au moins au début.
- Qui veut prendre la succession du Président ?
Silence de mort. Têtes baissées. Pas un candidat.
J’avais du mal à comprendre pourquoi Colette*, la secrétaire, ne se présentait pas, elle en avait à mes yeux toutes les qualités. Mais quand je lui posai la question, je compris qu’elle ne souhaitait pas avoir ce rôle de représentation, c’était une travailleuse de l’ombre.
Le silence devenait pesant, j’avais de plus en plus de mal à le supporter, d’autant plus que comme d’autres certainement, je me trouvais lâche de ne pas répondre. Je faisais partie de l’Assemblée depuis un moment, mais ne m’était pas vraiment investie, prétextant des horaires de travail décalés. - Allez Martine, pourquoi pas toi ? Tu serais bien à ce poste, essaie ! On m’en avait déjà touché un mot avant la réunion, mais j’avais éloigné le sujet d’un geste vague, le coeur empli de doutes et d’un peu de culpabilité. Je regardai autour de moi les visages tendus, n’attendant que mon acquiescement et la fin de cette réunion. Dans une sorte de crise émotionnelle, j’acceptai ; je sentis un souffle de soulagement général parcourir la salle. Toutes les mains se levèrent pour entériner ma nomination. Mon amie Sophie se proposa dans la foulée pour le poste de trésorière, elle savait que nous pourrions travailler ensemble agréablement . Cette femme sportive et décontractée avait l’habitude de jongler avec les comptes, elle tenait une petite boutique au centre ville.
Ainsi débuta ma carrière de Présidente des Parents d’élèves. Il fallait se battre pour garder les classes, avoir à l’oeil telle situation d’enfants, de parents, d’enseignants , me mettre au courant des temps obligés de la vie de l’école : animations diverses, visites, kermesse etc…Des sous, trouver des sous, pour permettre plus d’activités ou de sorties aux enfants. Je trouvais ce travail intéressant et nous le faisions dans la bonne humeur.
Peu de temps après, Sophie vint me voir : - J’ai remarqué quelque chose d’anormal dans les comptes. Il y a un manque de près de mille euros, étalé sur les dernières années. J’ai fait et refait le calcul des gains et des dépenses , il y a eu une bidouille, la caisse est vide !
Nous étions estomaquées, pas de doutes possibles, la comptabilité avait été truquée. De tout évidence, la trésorière précédente avait détourné de l’argent, quelques centaines d’euros chaque année.
D’abord ce fut la déception qui l’emportât, nous nous sentions trahies. Sylvie faisait partie de notre quotidien, nous avions participé à ses côtés à tant de fêtes, de réunions.
Que fallait-il faire ? Pourquoi avait-elle agi ainsi, que dissimulait son attitude ? Que des questions sans réponse…Il fut décidé que seules les membres du bureau seraient au courant et que la première chose à faire était d’aller lui parler, avant d’éventuellement porter plainte.
Elle nous reçut dans la semaine. Si elle tenta au début de paraître surprise et de nier la situation, cela ne dura pas et elle s’ effondra en pleurs dans son canapé en avouant le vol. Nous étions mal à l’aise, dans une attitude circonspecte, cherchant à comprendre si elle était financièrement dans une situation désespérée que nous n’avions pas repérée ou si elle jouait la comédie pour nous amadouer.
C’est alors qu’elle nous fit cette révélation, et je reste encore étonnée après tant d’années par son explication : non, elle n’avait pas besoin de cet argent, simplement le fait d’y avoir accès l’excitait, elle ne pouvait résister à l’envie d’en soutirer, telle une boulimique qui se jette sur la nourriture. C’était une maladie, une pulsion qu’elle n’arrivait pas à contrôler.
Elle parut soulagée d’avoir été démasquée et proposa de rembourser la somme en quelques versements. L’histoire s’ arrêta là et je ne sais pas si dans son nouvel emploi, elle a eu l’occasion de céder à la tentation…
J’ai appris à la suite de cet incident, qu’il existe dans les banques une commission composée de membres du personnel qui s’ occupe de cas similaires : il n’est pas rare que des employés qui voient passer des billets sous leur nez toute la journée, s’ en saisissent de quelques-uns. Quand ce n’est pas trop important, l’affaire se règle en interne.
Tout le monde ne s’ appelle pas Jérôme Kerviel !
Mais ça c’est une autre histoire…
*Les prénoms ont été modifiés