Quarante ans par Françoise Congar

Quand la collègue a eu quarante ans on s’est trituré le cerveau pour lui trouver un cadeau drôle, original qui correspondrait à son amour pour les animaux. Nous étions instits et notre école maternelle avait déjà été le théâtre, à plusieurs reprises de mises en scène, cocasses et insolites. Nous avions transformé la classe de grande section de Mathilde en plage tahitienne… sable fin importé du bac à sable de la cour, parasol, hamac, chaise longue… Pour l’anniversaire de Claudine ambiance boîte de nuit, rideaux tirés, boules à facettes, poufs, petites tables et musique maestro!… Nous consacrions nos mercredis après-midi à pousser les tables et les chaises, à changer la décoration et à déménager quantité d’objets… Autant dire que nous étions rodées et étions devenues des spécialistes. Les enfants découvraient leur nouvel environnement en même temps que leur maîtresse et les cris de surprise et les éclats de rire ponctuaient ainsi la moitié de la matinée…
Pour les quarante ans de Gene, il fallait anticiper, ne pas attendre la veille de son anniversaire ou l’effet de surprise ne serait pas complet. Le décor de la ferme s’imposait pour cette paysanne contrariée. Nous avons transbahuté des bottes de paille, les tracteurs à pédales et remorques des enfants, des branchages, des animaux en bois ou en peluche. C’est moi qui m’occupais du clou du spectacle, le roi de la ferme qui constituerait notre cadeau.

Avant de venir, très tôt, à l’école ce jour-là, je passais à l’élevage de porcs voisin récupérer ma commande, c’est à dire accueillir la boîte en carton dans laquelle Bernard avait déposé les 17 kg d’un magnifique porcelet.

Je roulais tranquillement vers l’école pour ne pas effrayer la bête pas du tout à son aise dans cet étroit carton. A l’école la caisse était installée parmi les bottes de paille et les branchages. L’attente pouvait commencer…
Lorsque Gene arriva enfin dans sa classe, les cris du cochon étaient plus forts que les exclamations de surprise. Les 17kg de viande sur pied avaient pris de l’assurance et de la voix, le carton était sérieusement amoché. Nous n’étions pas trop de trois ou quatre adultes pour persuader le cochon que non il ne pouvait pas courir entre les tables et se rouler sur le tapis de jeux. Les enfants commençaient à arriver et l’attention était grande autour du porcelet qui ne cherchait qu’à sortir de sa prison. Il était temps de prendre une décision car de toute évidence, le cochon craintif risquait de semer la panique parmi les petiots et leurs parents  mi-rires/mi-frayeurs. Le cochon, et ce qu’il restait de sa maison en carton, fut posé dans le véhicule de Gene par deux braves papas. Il était plus sage d’interrompre sa journée d’école. Il a juste eu le temps d’être baptisé par le grognon nom de Totoc’h avant de filer vers sa nouvelle demeure. Au retour de Gene nous apprendrions que Totoc’h avait voyagé hors du carton pendant tout le trajet et qu’il avait trouvé paille et nourriture dans une crèche désaffectée.

Lorsque quelques semaines plus tard Gene nous inviterait chez elle pour sabrer le champagne des 40 ans nous serions accueillis par Totoc’h, le plus heureux des cochons, le plus accueillant et le plus curieux des porcelets !

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