Les mouches par Isabelle M

Les mouches

Sous les rayons du soleil d’été, l’appartement de Tiphaine brille comme un sou neuf. Elle le brique tous les matins, son petit deux-pièces. La jeune femme sait qu’il est primordial d’aérer son logis. Toutefois, dès qu’elle ouvre la fenêtre, son salon se transforme en site de rencontre pour mouches. Ou plutôt, en discothèque. Elles au moins, elles s’amusent. Et ici, pas de videur ! Deux ou trois mouches dansent autour du lustre, virevoltant en tous sens, dessinant des cercles concentriques ou changeant brusquement de direction. Bzzz … Les insectes vrombissent et cela l’obsède.

Tiphaine décide de les expulser par la fenêtre ouverte, en les repoussant de la main puis à l’aide d’un chiffon. En vain : au bout d’un quart d’heure, elle s’assoie dans son canapé vert tropical, fourbue et en sueur. Elle téléphone à sa meilleure amie pour lui demander conseil, celle-ci lui suggère d’acheter un insecticide. Mais Tiphaine ne ferait pas de mal à une mouche. Et puis, ces insectes sont nécessaires à l’écosystème et à la biodiversité. Les deux amies se disputent. Tiphaine finit par prendre la mouche.

Il faut trouver une autre solution. Adolescente, elle a vu dans Karaté Kid, un homme asiatique essayer de saisir une mouche entre deux baguettes. La jeune femme choisit une autre méthode, plus rudimentaire. Elle les poursuit avec son balai, fenêtre grande ouverte, afin qu’elles retournent à la nature. Elle court et piétine dans son salon, mais jamais ne fait mouche. Il faut dire qu’elle n’a pas grand chose d’autre à faire, Tiphaine, à part gober les mouches. Enfin, pas au sens propre ; elle perd son temps, regarde voler les mouches, mais ne se nourrit pas d’insectes, même si c’est à la mode.

Elle tourne dans son salon, agitant son balai. Malgré son poids-mouche, elle fait claquer ses talons sur le parquet, telle une danseuse de flamenco. Les voisins du dessous frappent en rythme, avec un balai, contre la cloison. Les habitants de l’immeuble d’en face, qui l’observent interloqués se demandent pourquoi elle danse ainsi, avec son balai. Drôle de chorégraphie ! Serait-elle devenue sorcière ? Mais quelle mouche l’a donc piquée ?

Toujours est-il qu’elle a réussi à acculer une de ces demoiselles contre le rebord d’une fenêtre. Tiphaine est rusée, c’est une fine mouche. il ne reste plus qu’à faire glisser délicatement la bestiole ailée vers l’air libre. Mais si acculer les mouches semble facile, l’insecte résiste. La mouche se cogne contre la vitre, à maintes reprises, en bourdonnant. Impossible de la chasser.

Comme elle n’est partisane ni du papier tue-mouches ni de l’insecticide, Tiphaine poursuit les fêtardes munie d’un désodorisant, senteur fleur de cerisier. Il s’agit juste de les diriger vers la sortie. L’atmosphère embaume très fort le parfum artificiel. Tandis qu’elle finit de vider un second aérosol – à la lavande, cette fois,- l’air est devenu irrespirable, de quoi tomber comme des mouches. Enfin non, Tiphaine suffoque mais les mouches sont toujours là.

Une des noiraudes s’est posée sur une affiche représentant la Seine, devant Notre-Dame. Une mouche sur un bateau-mouche, ça fait beaucoup trop de mouches dans la vie de Tiphaine.

Celle-ci ouvre toutes les fenêtres de l’appartement pour évacuer les danseuses. Mais elle est allergique au pollen, elle a la goutte au nez, se mouche. Ses yeux pleurent dans les courants d’air. Les ballerines en tutus noirs valsent toujours.

Soudain elle éternue si fort que les intruses prennent la fuite. Elle referme les fenêtres à la hâte, se laisse tomber sur le canapé vert, en soupirant. Elle a gagné. Néanmoins le silence lui pèse : on entendrait une mouche voler !

Isabelle, 9 décembre 2020

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