GINETTE de Tête de Poireau

GINETTE

Petite boulotte, Ginette n’était pas une femme que l’on regarde. On pourrait dire que physiquement, elle passait inaperçue. La cinquantaine bien affirmée, elle se faisait plus remarquer par son comportement. Elle avait ce besoin de gigoter, la position neutre, chez elle n’existait pas. Elle ne savait pas rester en place. Elle ne marchait pas elle courait,elle ne mangeait pas elle dévorait, elle n’urinait pas elle pissait,elle ne riait pas elle s’esclaffait. Il faut dire que Ginette avait un métier où il fallait se faire entendre. Elle travaillait sur les marchés . Elle ne vendait pas de victuailles, elle vendait des appareils à râper.

Ginette connaissait son texte sur le bout des doigts , elle savait comment les attirer  . Sa priorité : que les maîtresses de maison s’approchent du stand. Quand le poisson était ferré, ce n’était plus qu’une formalité. Le mari arrivait, regardant d’un air détaché ce petit bout de femme bouger dans tous les sens, se tordre, pivoter d’un bord sur l’autre, faire son cinéma. C’est à ce moment là qu’elle sortait le grand jeu. C’est à ce moment là que ses ustensiles devenaient magiques. Elles les manipulaient comme personne : rabotant les carottes, coupant les concombres, domptant le céleri, taillant les pommes et raclant le chou qu’il soit rouge ou blanc.

Ginette paradait devant son auditoire qui lui était tout acquis. Comme un acteur sur scène, elle récitait son texte, elle crânait. Elle, la petite boulotte, qui passait habituellement inaperçue était, ici, adulée par son public. Comme un artiste qui peint son tableau, elle choisissait les mots qu’il fallait pour colorer son discours. Elle se sentait forte, elle dominait son public. Après il suffisait d’ouvrir l’escarcelle pour que les deniers tombent dedans.

Ginette gagnait correctement sa vie. Elle vivait seule. Elle était divorcée depuis une dizaine d’années et son fils unique volait déjà de ses propres ailes. Elle louait une petite maison dans un bourg, elle n’avait jamais aimé la ville, elle se sentait bien ici.

Elle ne parlait jamais de sa vie d’avant, le père de son fils lui avait « pourri » l’existence. Maintenant, elle se réjouissait de pouvoir rigoler, se marrer à son aise . Elle était d’un tempérament joyeux, son ex, lui était un taciturne. Jamais il ne fonçait, pesant toujours le pour et le contre, ce qui la faisait pester. Il lui reprochait de faire sa crâneuse, de frimer sur les marchés. Elle essayait de lui expliquer que c’était ça le métier.

Un jour, elle a craqué, elle est partie, emmenant son fils avec elle. Porter seule toutes les responsabilités, elle a bien failli glisser du mauvais côté. Ginette avoue avoir eu une période sombre, picolant dans les bars, se cuitant sans mesure, titubant, racolant le premier venu. Heureusement qu’à cette époque, elle pouvait compter sur une amie qui l’épaulait et l’aidait à s’occuper de sa progéniture.

Elle a fini par tout digérer, elle a fini par ne plus être obsédée de ne pas couler, elle a fini par ne plus maudire le père de son enfant, elle a fini par ne plus délayer ses pensées, elle a fini par ne plus se ronger de l’intérieur.

Elle a décidé que la vie valait le coup d’être vécue, qu’il fallait la croquer à pleines dents et qu’il ne s’agissait plus de simuler le bonheur. Ginette était décidée à rapper et à danser, à piaffer d’impatience pour tout et rien, à plaider pour la bonne humeur, à se couvrir de fleurs, à encore vibrer, à se marier et pourquoi pas, en un mot elle était prête à VIVRE.

Un soir, discutant avec sa meilleure amie, se remémorant tout ce chemin effectué, elle la remercia pour l’ aide qu’elle lui avait apporté, puis elle ajouta, répondant sans doute à sa propre pensée : « La vie, vois-tu, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »

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