Globule la Youri Gagarine des Dombes.
Ca s’est passé à la Combrière, un petit étang, au milieu des bois touffus confetti d’argent sur la carte des Dombes.
Là, tout est calme, luxe et volupté.
Calme ? Luxe ? Volupté ?
Ceci reste à prouver !!!
Ce jour là, Globule la grenouille est venue faire ses adieux à Gaston le gardon.
Et se lamente le Globule, envieux et ébloui par l’incroyable périple qu’envisage son amie.
« Pauvre de moi prisonnier de ces marécages !
Pauvre de moi qui, comme toi, ne peux découvrir ce monde inconnu qui s’agite de l’autre côté du miroir !
Pars, va ! Pars et sillonne cet espace inconnu, pars et vis ton affaire, pars et affronte les hasards, rencontres extraordinaires, tribulations magnifiques.
Mais promets moi : une fois repue, ta besace emplie d’aventures et de découvertes merveilleuses tu reviendras, comme Ulysse après son beau voyage, et me raconteras »
Gaston longtemps tourna en rond, comme poisson rouge en son bocal, vieillit beaucoup, suant d’ennui, pleurant solitude, rageant jalousie, gobant un mouchillon par ci, un vermisseau par là, quelques œufs de lumps à chaque réveillon pour passer le temps…
Et voilà ! Globule est là, sur son nénuphar, vieux routard cabossé, la tête pleine d’images et d’histoires !
Elle a roulé sa bosse, accumulé de l’expérience, pris le ton suffisant du vieil aventurier, routard blasé à qui on ne la fait pas…
« J’ai vu, j’ai vu, j’ai vu » Gaston gueule ouverte, mâche l’eau et lâche des bulles de curiosité, autant que d’impatience.
«- J’ai vu, j’ai vu, j’ai vu un HOMME ! »
Les bulles fusent, légères et colorées dansant vers la lumière.
« -J’ai frôlé la mort, exagère Globule avec emphase, la peur de ma vie !
Une énorme pince m’a happée, c’était chaud, ça me serrait.
« Oh, Papa, regarde, un crapaud »a coassé la chose.
(–Moi, un crapaud ! quelle ineptie !) Une créature plus grande encore s’est emparée de moi. Une force inouïe m’a projetée dans les airs, j’ai côtoyé le vent, plané dans le bleu, touché le soleil ! C’était brulant de froid, c’était sec et humide de brume, un voyage interstellaire
effrayant et merveilleux, à une vitesse supersonique, en apesanteur totale !
Après un vol plané magistral, splendide, olympien, jamais arrivé, de mémoire de grenouille !
« – Bon ça va j’ai compris, continue ! »l’interrompt Gaston, agacé par la bouffissure de la grenouille qui se croit aussi grosse que le bœuf.
« -La rentrée dans l’atmosphère fut périlleuse, j’ai traversé des frondaisons touffues, effleuré des pics acérés et caressé des feuillages rêches, aussi rapide que le faucon qui fond sur sa proie.
Un bruissement dantesque, craquements, frottements, souffles, mes tympans de grenouille en frémissent encore !
Et puis plouf ! Enfin, le plongeon dans l’eau du marigot, gout de terre, odeur de vase, caresse pure, velours subtil et frais, silence, sérénité retrouvés.
Gaston bulle, bulle, bulle, subjugué.
«- Quelle épopée ! Dis moi, accessoirement, ça ressemble à quoi, un homme ?
– Comment te dire : un immense animal à quatre pattes, qui court sur deux, et fait plein de choses avec les deux autres, enveloppé dans des peaux de toutes couleurs, avec des poils sur la tête, qui coasse très fort et de multiples façons, ne mange ni vers ni moustiques.
Et Gaston de fermer les yeux, de se concentrer, de froncer les sourcils qu’il a bien long pour un gardon, d’imaginer la chose, avec juste les images de son petit monde de son trou de vase :
-« une sorte de grenouille ?
– non ! bien plus grand ! Avec d’immenses pattes qui ne sautent pas si bien !
-Donc, une immense grenouille qui ne saute pas. Et ces peaux, vertes, comme toi ?
Pas seulement : des couleurs arc en ciel, tu sais, quand le soleil joue avec les gouttes de pluie.
-Et sur la tête, des poils, comme les ragondins ?
-Un peu, oui.
-Tu as parlé de coassements multiples, un peu comme les oiseaux ?
-Un peu, mais moins chantant, on dirait qu’ils aboient, comme le chien du vieux pécheur.
Gaston est perplexe… le vieux pécheur, le vieux pécheur….Et si c’était ça un homme ?
Il en frémit… Quelle leçon !
Gaston se souvient, d’un coup : il avait juste aperçu, tout là haut, au dessus d’une coque noire qui flottait, une ombre noire menaçante.
Prés du frêle esquif, un ver appétissant se tortillait au bout d’un fil, et lui Gaston, gourmand, affamé, jeune étourdi, fonçant sans retenue, tel le brochet terreur des eaux, et la douleur au fond de sa bouche, et le vol plané dans les airs, dans les mains de ce monstre poilu, immense, velu, qui le prend dans sa patte chaude, retire la griffe aiguisée qui enflamme son palais, et le rend à l’eau du marais…
Un peu étourdi, qu’il était le Gaston.
N’a toujours pas compris ce qui lui est arrivé ce jour là !
mais ce qui est sur, c’est que maintenant, il regarde à deux fois les petits vers qui frétillent, comme ça, l’air innocent, entre deux eaux !
Et pense que Globule, son amie globe trotter, a fait preuve d’un immense courage voire de folle témérité, a s’approcher ainsi de ces monstres étonnants : les hommes !
Sol