Les Mijotés de Marianne
– Le livre que j’ai écrit a disparu.
L’homme en face de lui avait l’air avenant, rassurant, prêt à l’écouter.
– Et selon vous, pourquoi a-t’ il disparu ?
– Je ne sais pas, mais ce que je sais c’est qu’il s’est volatilisé alors que j’étais au parc de jeux avec mes enfants.
– Vous en êtes bien sûr?
– Oui ! certain, ce jour-là, je l’ai apporté pour le lire pendant que les enfants jouaient – ils sont grands et peuvent se débrouiller seuls sur les différents jeux – Je voulais choisir une recette de plat pour le prochain repas de famille.
– C’est donc un livre de cuisine ?
– Oui mais pas n’importe lequel. J’y ai regroupé les meilleures recettes de ma mère et de ma grand-mère. Je commentais les évènements liés à chacun de ses plats, par un poème ou un texte, ainsi que des illustrations. C’était un peu l’histoire de ma famille à travers la cuisine. C’était surtout un hommage à ma grand-mère Marianne, que j’adorais.
– Je comprends.
– C’est le seul exemplaire qui existe, ma mère l’avait fait relier pour me l’offrir à Noël.
– Racontez-moi ce qui s’est passé.
– J’étais plongé dans ma lecture quand une dispute a éclaté entre les enfants sur le toboggan. L’un d’entre eux était hystérique. Il était en position instable sur l’échelle, prêt à tomber, quand un grand l’a bousculé.
Je me suis précipité, il y a eu plus de peur que de mal. Quand je suis revenu m’asseoir sur le banc mon livre avait disparu. J’ai eu beau chercher, questionner, personne n’avait rien vu.
Le responsable du service des objets trouvés écoutait Camille raconter son histoire avec bienveillance, il avait tout son temps.
– Écoutez, quelqu’un va peut-être nous le ramener. La semaine dernière on m’a déposé ce magnifique Atlas. Je peux voyager sur tout le globe terrestre sans bouger de ma caverne d’Ali-Baba. Je vous appelle immédiatement si quelqu’un se présente.
Camille était sceptique, il lui avait fallu tout son obstination pour rencontrer l’agent d’accueil qui s’occupait occasionnellement de cet endroit.
Il quitta la mairie et décida de se rendre chez l’imprimeur qui avait relié son livre, il avait peut-être encore une copie.
La réponse tomba comme un couperet,
– Après 3 ans nous supprimons ce genre d’épreuve de nos fichiers, désolés !
Camille désespéré, rejoignit sa sœur Mona. Elle avait accueilli Tom et Liz, pendant qu’il faisait ses recherches. Ils étaient très proches et elle avait toujours eu une bonne influence sur lui.
– Je lui raconterai ça plus tard, se dit-il.
Elle avait installé sa machine à coudre sur la grande table de la cuisine. Avec les enfants, elle confectionnait des doudous avec de vieux draps de flanelle de toutes les couleurs.
Tom finissait de rembourrer son hibou, de graines de blé et d’un sachet de lavande. Liz sous l’œil attentif de sa tante, cousait une tête de chat, avec la nouvelle Singer,.
Mona était très adroite de ses mains, c’est elle qui avait illustré son livre pour chaque recette.
Pendant qu’ils terminaient leurs ouvrages, l’air soucieux et sans dire un mot il se mit à balayer le sol jonché de fils, de bout de tissus et de pluche. Il suspendit les torchons qui traînaient, au crochet mural, et rangea la brosse à légumes dans le tiroir.
Sa sœur souriait en le voyant faire.
– Tu devrais passer plus souvent, mettre de l’ordre.
En entendant ces mots, il s’effondra.
– J’ai perdu mon livre il y a 2 jours au Bois du Porzou.
– Comment ça ?
Il lui expliqua rapidement ce qui s’était passé.
– La personne qui l’a trouvé va certainement le ramener, ton nom est écrit à la première page. Il n’est pas difficile de te retrouver, à moins qu’elle ne veuille le garder, il est si beau.
Il n’y avait pas une parcelle de malice dans les propos de sa sœur. Elle pensait vraiment que le livre de son frère était magnifique. Elle était fière de lui.
– J’espère que tu as raison, j’avais une lettre de la compagnie des eaux comme marque page. Mais, malgré les encouragements que j’ai eu, j’ai compris aux objets trouvés que peu de gens prennent le temps de se déplacer, soupira t’il.
Il se dirigea vers le balcon ensoleillé, Mona avait accroché plusieurs jardinières à la balustrade. Elle cultivait là, des plants de crocus sativus, pour leur précieuse épice.
– Nous allons rentrer, j’aimerais voir Laure avant qu’elle ne s’en aille à sa répétition de chorale, elle s’est égosillée toute la semaine sur un air de Starmania, le concert a lieu bientôt.
– Avant de partir goûte donc cette petite religieuse à la vanille que tu connais bien. C’est un nouvel essai, j’y ai ajouté un soupçon de pigment de safran pour donner cette belle couleur à la crème.
– Hum c’est une merveille !
– Tu sais Camille, si tu ne retrouves pas ton livre c’est peut-être l’occasion de le refaire, j’ai gardé les originaux de mes dessins et je connais la plupart des recettes. Il mérite vraiment d’être publié.
– C’est possible, moi aussi j’ai en mémoire tous mes textes, dit- t’il
Il arriva chez lui, morose, l’équipe du cuisiniste était toujours là. L’un d’entre eux sifflait, joyeux, tout en terminant l’installation des appareils ménagers et des fours. Deux autres emportaient le vieux buffet qu’ils avaient décidé de donner à Konkern solidarité.
Trop énervé pour discuter, il laissa Laure avec les enfants et monta quatre à quatre les escaliers.
Il retrouva au fond d’un tiroir la dizaine de pages qu’il avait sauvé juste avant que son ordinateur et son imprimante ne tombe en panne lors d’un orage. Il avait ensuite remis à plus tard la sauvegarde et ne s’en était plus préoccupé !
– Il ne me reste quasiment rien des 98 pages, se dit-il.
Il redescendit, et vit sur la petite table de l’entrée une lettre à son nom, Camille Honoré.
A l’intérieur un large marque page en guise de lettre.
Avant de rejoindre Laure il eut le temps de lire.
» Camille Honoré,
J’ai peu de temps, j’assiste demain soir à l’inauguration d’une nouvelle pièce de théâtre.
Rejoignez-moi, au carré des larrons à 20h. Je vous en dirai plus.
L’Araignée de Mer. »
Son cœur s’emballa.
– Mon livre ! se dit-il.
Le lendemain Camille se rendit au rendez-vous, au lieu de sa séance de yoga.
Quand ils se trouvèrent face à face aucun d’eux ne montra son étonnement, malgré leur surprise réciproque.
– Je suis Marc Gutenberg,
– Mais pourquoi l’Araignée de Mer, demanda Camille.
– Je suis joueur, et vous allez comprendre. Je me promenais tranquillement dans le parc quand j’ai vu ce bouquin abandonné sur un banc. Le titre a tout de suite attiré mon attention : » Les Mijotés de Marianne » je m’en suis saisi sans hésiter, il n’y avait personne à proximité à cet instant-là.
– C’est donc vous qui l’avez trouvé !
– Je dois vous dire que j’ai beaucoup aimé votre livre. Comme vous, j’aime la cuisine, et les recettes anciennes.
J’ai découvert tout récemment, la vrai recette de l’araignée farcie que mon aïeul a concoctée à la demande de son époux il y a bien longtemps.
Il ne savait plus comment écouler sa pêche. Il était difficile de conserver les crustacés trop longtemps dans les casiers et ses clients finissaient par se lasser d’en manger.
– C’est pourtant délicieux ne put s’empêcher de commenter Camille.
– Rose mon arrière-grand-mère, poursuivit Marc, réalisa une farce divine, je vous en donne uniquement les grandes lignes :
Elle décortiquait et mélangeait la chair si savoureuse avec des poivrons, des oignons, des tomates, des piments, coupés en petits morceaux. En fin de préparation elle ajoutait, du safran, une grande cuillerée de crème fraîche et d’eau de vie.
La préparation était gratinée au four dans la carapace de l’araignée.
Elle en fit aussi des conserves et son mari, chaque vendredi, vendait ses préparations fraîches dans leur coquille ou dans des bocaux, au marché.
Camille écoutait attentivement l’inconnu.
– Mais où voulez-vous en venir ? Réussit-il à dire.
– Elle avait écrit sa composition détaillée sur un papier jauni par le temps, à peine lisible mais j’ai pu la reconstituer avec les femmes de la famille qui se la transmettent de bouche à oreille et la cuisine chacune à leur façon.
Elle a failli disparaître, si ma mère ne m’avait pas donné ce goût de la cuisine. Elle même était allergique aux crustacés et n’a jamais goûté ce plat.
– L’araignée farcie aurait toute sa place dans votre ouvrage, dit-il d’un ton très convaincant.
Tenez, je vous le rends.
Camille l’entendit à peine, il était trop ému de retrouver son livre, qu’il tournait et retournait sans pouvoir se lasser.
– Je dois vous quitter voici ma carte, dit-il.
Camille l’a pris et lut sur le bristol doré, tandis que Marc Gutenberg s’était déjà éloigné :
Marc Gutenberg
Ancètre de l’Édition.
29 600 Morlaix
Viviane