Le livre de Françoise B

Avez-vous écrit ce livre ?

Oui

Pourquoi a-t-il disparu ?

J’avais menti et cela aurait une influence sur le contenu des confidences à venir.

Assise en position instable sur une marche de l’escalier en bois, qui servit si souvent de toboggan aux enfants, je fis diversion pour ne pas répondre.

  • As-tu vu l’araignée qui a tissé sa toile autour du vieil atlas posé sur le buffet ?

Nous n’étions pas revenus dans cette maison depuis la mort de notre père.

La vieille machine à coudre recouverte d’un drap rappelait les heures passées par notre grand-mère à rembourrer des coussins, assembler des pièces de tissus pigmentés d’ocre rose. La petite brosse qui servait à lisser les étoffes était accrochée sur le mur.

Je bus une gorgée de thé au jasmin que mon frère avait préparé dans l’affreuse pièce aménagée par un cuisiniste dont la réputation était sans aucun doute usurpée.

Yves avait apporté deux religieuses, l’une au café l’autre au chocolat. Posées là sur une assiette elles auraient pu autrefois déclancher l’une de nos disputes qui pouvaient frôler l’hystérie et se terminaient par un fou rire.

Mon regard cherchait une échappatoire vers le globe terrestre en panne d’éclairage depuis longtemps.

J’envisageais un instant un repli vers le balcon pour écouter la chorale qui emplissait la rue.

Je balayais la pièce du regard, pris un air grave pour annoncer d’un ton fatidique :

  • Le livre n’a jamais existé , nous ne l’avons pas écrit.

Je vis mon frère blêmir. La trahison était enfin mise à jour et j’en ressentis un énorme soulagement et je sus à l’instant que ce sentiment était partagé.

La promesse que m’avait arrachée le patriarche à la fin de sa vie d’écrire avec lui l’histoire de notre famille sous prétexte que j’étais celle qui avait fait des études, et que je leur devais bien ça, s’était envolée.

Comme allait disparaître à jamais de ma vision cette baraque poussiéreuse et remplie de fantômes plein d’injonctions.

Je n’écrirai pas ce livre mais je rédigerai un recueil de poésies, parce que je l’aurai décidé. De celles qui mettent dans un état émotionnel qui fait perler les larmes et inventent le cours de la vie pour l’envelopper d’une auréole d’imaginaire qui envelopperait le passé.

  • Ne t’inquiète pas petit frère, je ne raconterai pas nos secrets pour les offrir au tout venant.

Je dirai l’indicible, celui qui suggérerait nos peurs et les transformerait en rires. Ecrire pour résister au temps qui passe sans que nous ayons réalisé nos rêves.

Non, le livre n’a pas disparu, il est devenu indésirable. Nous lui ferons un pied de nez puis nous sortirons main dans la main de la torpeur de ces souvenirs pour écrire des poésies légères, suaves ou impertinentes.

Ce livre inexistant s’est envolé, pourtant je l’ai écrit cent fois dans ma tête et autant de fois effacé. Ses feuillets un a un se sont détachés pour accrocher les branches qui bordaient les chemins, tantôt délicatement couchés sur l’herbe tantôt déchirés par les épines.

Viens petit frère, nous écrirons la vie qui orne les lobes d’oreilles de cerises en été et parsème le jardin de gâteaux au chocolat. Puis sur l’herbe verte nous compterons les coccinelles demoiselles, bêtes à Bon dieu. Notre Père qui êtes au cieux restez y et nous nous resterons sur la terre qui est quelquefois si jolie. Merci Monsieur Prévert.

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