La pensée au petit poids
Je pense comme je panse disaient déjà les auteurs des siècles derniers. De tous temps les pensées qui affleurent à l’esprit et offrent leurs bouquets de questions, de doutes et de tergiversations ont servi à panser nos plaies et nos blessures. Les mots se confondent avec nos maux. Les premiers nous aident à supporter les seconds. Nous crions nos mots pour que crèvent nos maux. Les mots et les maux s’amalgament et se fondent dans le même creuset. Les pansements et les « pensements » ont le même rôle de suturations et de cicatrisation. Mais si les pensées servent à panser qu’en est-il des mets? Quand le corps et l’âme bleuissent de concert, mes mets me remettent à l’endroit, comme le souffle de mai sur un printemps endormi. Nous nions trop souvent le poids de la soupe de pois dans le processus de guérison, le verre de vin n’est pas vain quand nous avançons vers la résilience. Le supplice de la poix qui anesthésie les synapses ne résiste pas à la saveur du mijoté aux petits pois. Ces mets enlèvent le poids paralysant des pensées et des mots. Peser le poids de nos pensées pour panser de poix et calfater les failles de l’esprit. La pensée se tait, le mot se pose, l’activité cérébrale se met en pause et les mets savoureux nous reposent. La panse se remplit lorsque la tête se vide.
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TEXTE 2
Nous pouvons classer les coureurs en plusieurs catégories selon les différents critères de l’espèce. Nous en découvrons des nouveaux tous les jours et certains scientifiques laissent entendre que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Voici un tableau des espèces les plus connues ou les plus originales vivant sur notre territoire.
Chez les coureurs il y a:
– le coureur qui court et fait ses courses. Il est très difficile à reconnaître car il est sans cesse en mouvement. Il fait partie de la sous-espèce des professeurs recrutés sur concours. Absorbé dans la préparation de son cours de lundi prochain, il avance en faisant des longues enjambées, il suit le cours de ses pensées et n’est jamais à court d’idées.
– le coureur qui court, fait sa course, mais ne fait pas ses courses. Vous ne le verrez jamais en groupe, c’est un solitaire. Il est plutôt court sur pattes et ses bras sont de la même longueur. C’est un spécimen très courageux qui peut enchaîner des courses à pied et des courses à vélo, des courses en montagne et dans le désert. C’est un coureur invétéré et infatigable.
– le coureur qui marche, fait ses courses et celles de ses voisins. C’est un personnage courtois et avenant. Il ne court jamais deux lièvres à la fois et aime cloisonner ses activités. Il suit avec passion le cours de la Bourse et les prévisions astrologiques.
– le coureur qui ne court pas et fait courir les autres. Il est affalé dans son canapé et est vêtu d’un pantalon de pyjama trop court (exceptionnellement un jogging). Il courtise sa petite mousse et aime discourir sur l’inflation et la précarité des classes moyennes. Il n’est jamais à court d’arguments.
– Parmi les sous-espèces on distingue, le coureur toujours à l’heure qui court et fait ses courses et le coureur, jamais à l’heure, qui court mais oublie de faire ses courses. Et si ces deux-là se rencontrent c’est que notre monde court à sa perte !