Le rêveur

Le 31 mai 2020 Viviane
Le rêveur
Luc songeait à des jours meilleurs en se rendant à la cave de son immeuble où il rangeait tout un tas
de bric à brac dont il n’arrivait pas à se débarrasser.
En ouvrant la porte il fut surpris malgré tout, du terrible désordre qui y régnait.
– Je ne me souviens pas d’avoir laissé la pièce dans cet état, c’est un véritable capharnaüm, se
dit-t’il, de mauvaise foi.
– Je m’en occuperai plus tard, soupira t’il sans conviction.
Il était tout à fait conscient de n’avoir aucun sens de l’ordre et ça lui avait souvent joué bien des
tours. Il dû se faire un passage pour accéder au meuble fixé au mur.
Il posa la cocotte-minute, dont il aurait fallu changer le joint, sur l’étagère et quand il ajouta le
grille-pain,qui avait fait sauter le disjoncteur lors du petit déjeuner, la planche qui supportait tant de
poids, s’écroula dans un grand fracas. Il vit choir, l’entonnoir qui était fendu, le guidon et la selle de
son ancien vélo ainsi que le dérailleur et la roue à boyau.
– C’est sentimental, je ne peux me résoudre à m’en séparer !
Pour finir, la caisse à outils termina sa chute sur son pied, elle s’ouvrit, laissant échapper de vieux
boulons, des tournevis, des clefs à molette et des vis de tout calibre.
– Ouf ! Je pense que je n’ai rien de cassé.
Il se baissa, et à son grand étonnement, il vit le trousseau de clefs de sa maison de vacances, ils les
avaient perdues depuis leur dernier séjour dans le Nord Finistère.
– Dire que je viens d’appeler le serrurier du village « Jouvretout » pour les refaire, cela fait maintenant
au moins 2 mois que nous ne nous y sommes pas rendus.
Il ne croyait pas à la voyance, mais sa femme Claire était une passionnée, elle consultait
régulièrement la cartomancienne, Cristal.
Lors de sa dernière entrevue, celle-ci lui avait prédit un voyage plein de péripéties et de surprises.
Claire ne lui avait pas demandé si elle allait vivre de belles aventures, elle était certaine que ce
serait le cas.
Quand Luc revint du sous-sol avec les clefs qu’ils avaient tant cherchées, elle s’écria :
– C’est un signe, tu vois, il est temps que nous allions là-bas.
Leur maison de vacances se situait sur la côte du Léon, au bord du sentier côtier,
Une petite impasse parallèle au GR34, réservée aux riverains, desservait les quelques maisons face
à la mer.
La construction faisait partie d’un ensemble de bâtiments étrangement conçu qui appartenait à ses
parents. Une première maison très haute en forme de L faisait l’angle du chemin d’accès. A l’origine
c’était un bar restaurant, face à l’océan. Dans le prolongement de la façade avant, un hangar séparait
une ancienne maison de pêcheur.
A l’arrière, un immense garage en mitoyenneté et une autre maison de 2 étages où travaillait
autrefois un paysan, fermait la cour commune en forme de U.
Luc avait toujours la tête dans les étoiles, il imaginait un autre monde derrière notre système solaire.
Il profitait de ses séjours à la mer pour observer le ciel et compter les étoiles, en quête d’un nouvel
astre.
Son beau-frère disait de lui que c’était un glandeur, sa femme un artiste.
Lui, savait qu’il n’était pas fait pour ce monde agité, il planait tout le temps, et devait se faire
violence pour affronter les dures réalités.

Deuxième enfant de la fratrie, il avait été délaissé par ses parents à la naissance de la petite
princesse, sa soeur Annette. Il avait alors pris l’habitude de se replier sur lui-même et de s’évader
dans un monde imaginaire.
En grandissant, il préférait souvent ne rien savoir qui put troubler son refuge qu’il protégeait de
toute intrusion.
Il ne lui fallut pas longtemps, pour décider d’aller passer quelques jours dans la maison familiale, le
moment était propice.
Les signes du destin, de Claire l’amusaient, en réalité ce qui le motivait, c’était l’absence de sa
famille sur les lieux.
Ses parents Marianne et José, venaient de s’envoler pour un voyage de 2 mois au Canada, sa soeur
Annette et son beau-frère Jacques qui habitaient Morlaix dans une maison de ville, étaient retenus
par leur travail et la scolarité, sous contrôle, de leurs 3 merveilleuses filles, si brillantes.
Leur maison serait peut-être louée à des touristes mais peu importe.
Le temps allait être magnifique, un petit vent d’est et un soleil généreux étaient annoncés pour la
semaine.
Tout en faisant les bagages, il se voyait, observer la voie lactée, se promener avec sa famille sur la
grève, jouir sereinement de la tranquillité de sa maison, sans être sermonné et culpabilisé par les uns
et les autres.
– Tu devrais remettre en état les volets, ils claquent au vent, le ravalement a besoin d’être refait, la
peinture s’écaille, les fissures s’agrandissent etc.
Sa famille avait raison bien sûr, mais il ne l’entendait pas ainsi, il voulait qu’on le laisse en paix.
– Un jour peut-être, j’y pense, disait-il pour ne pas les contrarier.
Il avait hérité de cet endroit, il y avait 15 ans. Ses parents habitaient une maison moderne 100
mètres plus loin dans l’impasse. C’étaient d’anciens cultivateurs d’oignon et d’artichaut, ils avaient
bien gagné leur vie et avaient investi leur argent dans l’achat de terrain et de maison à proximité.
Sur les conseils du notaire, afin d’optimiser les droits de succession, ils avaient fait une donation à
leurs 3 enfants. L’homme de loi avait évalué les biens et l’attribution des lots avaient été effectués
par tirage au sort chez le notaire. Un complément en cash avait été attribué à deux d’entre eux afin
d’équilibrer le partage.
A ce moment-là, leur père espérait encore que sa fille, Annette sa petite dernière reprendrait leur
exploitation, mais après ses études d’agronome elle avait préféré aller travailler chez un voisin.
Peu à peu les parents et les enfants s’éloignèrent les uns des autres et leurs relations se dégradèrent.
Tous étaient impuissants à essayer de mieux se connaître.
Luc était devenu propriétaire de la grande maison située à l’arrière de la cour, il pouvait y voir la
mer et surtout le ciel, uniquement de la lucarne du grenier. Il y installait son télescope dès son
arrivée.
Il avait reçu un petit capital pour les travaux de remise en état, mais il s’était empressé de s’acheter
une grosse berline électrique, la même que son dernier patron – Une Tesla dernier cri – les travaux
avaient été remis à plus tard.
Sa soeur Annette était infirmière à l’hôpital de Morlaix. Elle avait agrandi et rénové avec goût la
petite maison en pierres qui lui avait été dévolue. Elle l’avait transformé en une superbe longère en
y ajoutant une grande pièce au toit plat entièrement vitrée à la place du garage. Elle faisait l’envie de
bien des passants.
Son frère aîné Étienne travaillait à New-York pour une compagnie d’informatique, il avait confié sa

grande maison en L, à une agence qui la louait régulièrement. Il logeait chez ses parents lors de ses
brefs passages. L’habitation comportait 10 pièces elle était très sobre et entièrement peinte en rose
bonbon.
– Il ne vient qu’à Noël et en août et c’est pour voir nos parents, il ne sera pas là, se dit-il.
Le vendredi après-midi, dès le retour de Claire de la ferme où elle travaillait, ils prirent la route avec
leur fille Béa qui était en 4ème et leur garçon Justin en 5ème, ils étaient enchantés de cette escapade
imprévue.
– Nous avons besoin de prendre l’air, j’informe l’école que vous serez absents pour des raisons
impérieuses ! annonça leur père en riant.
Le trajet, d’une heure fut joyeux et animé, tous les quatre s’amusaient, heureux de quitter leur
appartement exigu dans un immeuble de l’OPAC à Carhaix.
Quand ils arrivèrent rayonnants de bonheur, Luc n’en crut pas ses yeux, son frère Étienne marchait
sur la route en direction de la maison de leurs parents.
Quand il se gara dans la cour, il eut un haut le coeur en découvrant la vieille Audi A4 d’occasion de
son beau-frère chauffeur routier, Jacques.
– Ce n’est pas possible, c’est impossible, mais que font-ils là nous devions être seuls.
Dans un réflexe de survie il redémarra sa voiture, prêt à repartir.
Sa femme Claire lui posa une main sur l’épaule.
– Ne t’affole pas, il doit y avoir une explication. Nous partirons s’il le faut, restons au moins ce
week-end.
Sa soeur Annette s’approchait.
– Comment as-tu su ? lui demanda-t-elle doucement.
– Quoi, mais quoi ?
– Papa vient de faire une crise cardiaque, il n’était pas très bien depuis quelques temps. Il avait
interdit à maman de nous en parler, mais je l’ai appris avec des collègues quand il est venu consulter
le cardiologue il y a quelques jours. Il est mort ce matin.
– Et leur voyage ? demanda t’il, complètement hébété par la tournure des évènements.
– Ils l’avaient reporté de 8 jours en attendant les résultats des examens, ils espéraient vraiment
pouvoir partir.
– Mais Étienne, comment est-il arrivé si vite ?
– Par une étrange circonstance, il était en déplacement sur Paris pour son entreprise, il devait se
rendre à Dubaï pour une importante mission. Il s’est organisé pour passer voir son agence de
location, il envisage de rénover et transformer sa maison en petits appartements. Il est arrivé hier.
– Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
En prononçant ces mots, il savait qu’en réalité il préférait fermer les yeux et ne rien savoir comme
toujours.
Annette qui le connaissait bien haussa les épaules, d’un geste fataliste.
Luc n’arrivait pas à réaliser les faits, c’était un véritable cataclysme, il se sentait étrangement loin, la
situation lui échappait.
Pendant qu’ils rejoignaient ensemble leur mère, il eut le temps de se ressaisir. Elle était effondrée
par la brutalité de la disparition. Elle répétait le déroulement de la soirée de la veille et de sa
découverte du corps.
– Ce matin il ne s’est pas réveillé. Tout allait bien hier soir, il s’est couché comme d’habitude après
avoir été faire un tour dans le jardin. Je n’ai rien vu d’anormal.
Luc, remis de ses émotions, songeait à ses vacances qui étaient fichues, mais il n’était pas si
mécontent, il allait enfin recevoir une nouvelle part de l’héritage et pouvoir se consacrer enfin à sa

passion : L’existence des extra-terrestres.
Il avait perdu son précèdent emploi chez un meunier qui avait fait faillite. L’agence Pôle Emploi
après une évaluation express, lui avait proposé contre toute attente, une formation de mécanique
marine.
Il avait accepté sans sourciller, c’était la seule issue pour continuer à percevoir les indemnités de
chômage. Il avait horreur de la mécanique et ne comprenait rien au fonctionnement des moteurs,
alors que tous ses copains étaient férus de système automatique, d’électronique et d’informatique.
Quant au bateau, il ne savait pas vraiment pourquoi mais il en avait horreur.
Il avait obtenu un emploi chez Méca-Ouest, mais ses nombreuses erreurs, son manque de bonne
volonté et les plaintes de plusieurs clients lui avaient valu un énième licenciement.
Il n’en avait pas encore parlé à Claire.
Après la célébration funéraire, ils étaient tous réunis, les voisins et la famille, autour du café
d’enterrement.
– Il va falloir aller récupérer le bateau de votre père. Il l’a laissé au mouillage dans la baie de
Carantec. L’endroit n’est pas sûr, il voulait le ramener au port avant les orages qui s’annoncent avec
ces chaleurs, leur dit leur mère Marianne.
– Très bien, nous irons demain matin de bonne heure, la mer sera haute, dit Jacques qui adorait aller
pêcher avec son beau-père. Tu seras des nôtres Étienne?
– Non, désolé mais je n’aurai pas le temps, j’ai rendez-vous avec l’agence pour les travaux de la
maison.
Luc paniquait, il s’était vanté devant Jacques que la navigation n’avait aucun secret pour lui. En
réalité, il avait fait de l’optimiste avec son école quand il avait 8 ans, mais il n’était jamais remonté
sur un bateau depuis. Il avait toujours un bon prétexte pour ne pas accompagner son père et Jacques
lors de leur partie de pêche.
Mais là maintenant, que faire ?
– Oui bien sûr réussit-il à dire d’une voix éraillée.
– Comment vais-je me sortir de ce pétrin ?
Au lever du soleil quand Jacques le réveilla, il n’avait trouvé aucun échappatoire, le matériel était
prêt, il le suivit l’angoisse au ventre.
Les manoeuvres s’enchaînèrent au grand plaisir de Jacques qui se retrouvait dans son élément. De
catastrophe en catastrophe, Luc cumulait les maladresses.
Jacques finit par prendre la direction des opérations laissant son beau-frère victime d’un violent mal
de mer, complètement abattu au fond de la cabine, incapable du moindre geste.
Les souvenirs des sorties en mer avec son école lui était soudain revenu, il avait été traumatisé par
l’humiliation, que lui avait fait subir son compagnon barreur, au moment du chavirage de
l’optimiste.
Ils rentrèrent pour le déjeuner, Luc qui avait eu une peur bleue était honteux, il disparut le reste de
l’après-midi.
– Pourquoi n’ai-je rien dit à Jacques sur mon incompétence, la sortie aurait pu mal tourner si le vent
s’était levé plus tôt que prévu.
Claire lui annonça qu’ils devaient tous se rendre chez le notaire le lendemain, avant le départ
d’Étienne, pour l’ouverture du testament.
– Mais quel testament ?
Tout le monde, même sa femme Marianne, ne savait pas que José avait écrit ses dernières volontés
chez Maître Deslois.
Il annonça, qu’il avait légué la plus grande partie de ses biens à sa femme et qu’elle continuerait à
gérer le patrimoine familial. C’était un véritable affront pour les enfants.

Luc fit un malaise en pensant que son indifférence et son aveuglement envers son entourage
continuerait à lui faire vivre, à lui et à ses proches, bien des mésaventures, s’il ne changeait pas.
Claire qui lui pardonnait tout, commençait à se demander comment ils en étaient arrivés là. Elle
allait lui faire prendre conscience que leur ignorance à tous les avaient conduits dans une impasse.
José leur père était mort sans qu’ils ne se soient jamais vraiment parlé.

 

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