Il était une fois par Soize

Il était une fois une petite fille qui adorait faire de la gymnastique. Elle était la fille unique d’un couple qui n’espérait plus être parents à leur âge et avait grandi dans une belle maison bourgeoise entourée d’un grand jardin, planté d’arbres majestueux dans lesquels elle grimpait à longueur de journée : c’était son passe-temps favori. Elle aimait aussi courir, nager, sauter à la corde, toutes ces activités qui lui faisait dépenser son énergie débordante. Elle avait 12 ans cette année-là, s’appelait Blandine et avait de longs cheveux blonds vénitiens attachés en queue de cheval. Son corps léger et souple s’adaptait à tous les sports et elle y excellait. Au grand étonnement de ces parents, du style pantouflard, qui se contraignaient à marcher un peu le dimanche, parce que -paraît-il-, c’était bon pour la santé et qui préféraient passer le week-end devant la télévision. Ils laissaient à d’autres jogging et randonnées diverses.
De temps en temps, si ses devoirs étaient finis, elle avait le droit de regarder la télé avec eux, et il faut dire qu’elle aimait bien ça aussi, blottie entre ses deux parents vieillissants. Un jour qu’elle regardait Harry Potter avec eux sur la Une , lors d’une coupure publicitaire dont cette chaîne raffole , elle fut subjuguée par des images qui allaient transformer sa vie : un homme marchait sur le sol, puis sur le mur vertical apparemment avec facilité, rejoignait le plafond , et restait ainsi avec le plus grand naturel, la tête en bas. Grâce à la colle Gluglu qui collait vraiment tout ! Elle resta ébahie. Si seulement elle avait pu en faire autant ! Elle se jura d’essayer, en cachette de ses parents bien entendu, car elle se doutait qu’ils ne seraient pas d’accord.
Elle acheta la colle, s’enferma dans sa chambre et enduisit les semelles de ses baskets du produit miracle. Cela fonctionna au-delà de ses espérances : elle commença à grimper sur le mur avec facilité et se retrouva à marcher au plafond, ses cheveux pendant dans le vide. Cela l’amusa follement, elle parcourut sa chambre plusieurs fois sur toutes les surfaces, en courant même. Elle ne ressentait aucune difficulté, au contraire, elle ne s’était jamais sentie aussi bien. Au bout d’un moment, elle se rendit compte qu’il n’y avait plus de colle sous ses chaussures, mais qu’elle réussissait quand même à marcher partout, plus facilement encore.
Habituée à lire des romans d’heroic fantasy , elle trouva normal d’avoir un don particulier. Il ne fallait le dire à personne, autrement il risquait de disparaître. A partir de ce jour là, elle s’essaya à toutes sortes d’expériences ; elle s’aperçut qu’elle pouvait grimper partout et dans tous les sens, les façades des maisons, des immeubles, les arbres bien sûr dont elle atteignait la canopée à toute vitesse, les plafonds des cathédrales, rien ne lui était inaccessible. Les années passaient et elle découvrait toujours de nouveaux défis à relever.
Elle voyagea partout dans le monde, escalada les plus hauts gratte-ciel, dormit comme les chauve-souris dans les grottes les plus profondes, observa les peintures de Michel-Ange de la Chapelle Sixtine à même la voûte . Elle aimait observer notre Terre d’en haut, voir les humains de la taille des fourmis s’agiter de façon désordonnée. Elle avait remarqué qu’elle pouvait à présent faire de grands bonds, s’envoler presque. Elle avait été repérée parfois, mais personne n’avait réussi à l’attraper ni à l’identifier.
Lors de vacances qu’elle était venue passer chez ses parents, s’ennuyant un peu, elle décida de ranger le grenier, envahi de cartons et d’objets divers qui dormaient là depuis longtemps.
Après avoir jeté des peluches poussiéreuses, des lampes hors d’usage, des chaises
dépaillées…elle tomba sur un tas de photos argentiques déposées pêle-mêle dans une boîte
de biscuits en métal rouillé. On pouvait y voir le magnifique cirque en meulière des Champs
Élysées à Paris devant lequel une foule se pressait. Elles semblaient très anciennes, les
vêtements des spectateurs évoquaient la fin du 19e siècle, hommes en manteau et chapeau
haut de forme, robes longues et chapeaux extravagants pour les femmes. D’autres
montraient des chevaux dansant le quadrille, des lions rugissant face au fouet du dresseur
ou encore des clowns aux grandes chaussures et au nez rouge. Quelques unes se trouvaient
à part dans une enveloppe jaunie : dans la salle du cirque d’hiver on apercevait un clown, la
bouche agrandie en un énorme sourire par un maquillage rudimentaire, qui était suspendu
au plafond. Sur d’autres, il apparaissait grimaçant, chapeau enfoncé jusqu’aux yeux et grand
noeud papillon à pois jaunes et bleus, alors qu’il grimpait le long d’un mur. Derrière les
clichés, son nom était noté : le même que le sien !
Elle n’eût pas le temps de remettre en place sa trouvaille, la porte s’ouvrit sur sa mère, qui
apercevant les photos poussa un cri et se précipita vers elle. Blandine serra les photos contre
sa poitrine, empêchant sa mère de les lui arracher des mains. Sa mère fondit en larmes ; elle
lui expliqua qu’elle ne souhaitait pas que Blandine connaisse l’existence de cet aïeul qui avait
été célèbre parce ce qu’il pouvait grimper n’importe où et qui se produisait avec un cirque
dans toute l’Europe. Mais un clown, quel déshonneur pour la famille ! A sa mort, on avait
effacé toutes ses traces à part ces quelques photos.
Le coeur de Blandine s’ emballa, c’était donc de lui qu’elle tenait ce don extraordinaire ! Sans
un mot, elle sortit en emportant les photos comme un trésor.
Dès lors, elle consacra tout son temps à rechercher des documents sur cet aïeul. Elle amassa
des photos, des affiches de cirque de cette époque ; elle visita les endroits où il s’était
produit, elle réussit à connaitre des éléments de sa vie ; il avait été marié mais sa femme, ne
supportant pas cette vie itinérante, était retournée dans sa ville natale. Lui préférait la vie de
nomade et avait fini sa vie au cirque. Comme elle aurait aimé le connaître ! Lui seul aurait
pu la comprendre. Chaque nuit, elle rêvait qu’elle le rencontrait et le matin la laissait
désenchantée.
Un printemps, n’y tenant plus, elle escalada jusqu’au sommet de la plus haute montagne du
monde, regarda une dernière fois les vallées ensoleillées et les tous petits hommes qui
s’affairaient en bas; elle fit un énorme bond et se retrouva dans le ciel . Elle marcha
longtemps sur et sous les nuages, parmi les planètes et un jour finit par trouver son aïeul qui
lui ouvrit grand les bras. Depuis, ils parcourent ensemble le ciel la tête en bas, s’amusant à
sauter et à grimper, filant avec les étoiles dans une ronde éternelle.

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