Victorine de Viviane

Victorine

 

Le vent avait soufflé toute la nuit, un vent d’est à décorner les bœufs. La météo avait bien annoncé des rafales de 100 kms/h, elles avaient emporté le toit de la petite dépendance qui servait de poulailler. Au petit matin Mélanie, s’était levée, fatiguée de sa nuit agitée.

Quand elle était sortie constater le désastre, elle avait retrouvé les volatiles réfugiés derrière la haie bien abritée. Aucun ne manquait à l’appel. Le coq suivi de sa basse-cour accourut vers elle. Ils attendaient le grain qu’elle jetait habituellement à la volée. Ils devraient patienter, elle était bouleversée, jamais le vent d’est n’avait soufflé ainsi dans sa propriété entourée de grand mur en pierres et de végétation très dense.

Pendant la nuit, elle avait rêvé au chiffre 100 qui tournait sans fin dans un cercle bleuté.

La tempête de 100 kms/h.

La distance de 100 kms.

La vitesse de 100 kms/h.

Ce 100 à l’heure qu’elle n’arrivait pas à saisir, malgré ses efforts.

Le « cent » avait continué à se bousculer dans sa tête : sans limite, sans raison, sans cœur, sans remords, centenaire…

Centenaire ! Elle s’était réveillée d’un seul coup. Mamie Victorine allait avoir 100 ans aujourd’hui, le même jour que l’épreuve de vitesse temps du meilleur engin mobile. Ce n’était pas un hasard.

Mélanie participait à cette expérience scientifique avec son collègue Martin. La machine qu’ils allaient conduire devait effectuer un parcours à 100 km/h à une vitesse constante, pas un mètre de plus, pas un mètre de moins, pendant 1 heure.

Une puce électronique installée sur l’engin enregistrerait toutes les données avec précision. Au-dessus de la vitesse imposée, vous aviez une sanction immédiate, le véhicule était saisi par les organisateurs pour d’autres essais. En-dessous, vous étiez tout simplement disqualifiés et vous deviez attendre 1 an avant de vous représenter.

Si par contre vous réussissiez l’épreuve vous receviez tous les honneurs. Vous pouviez intégrer le centre de recherche qui œuvrait pour la maîtrise du temps et de l’espace : le Graal pour certains scientifiques.

Depuis le début de l’année, 4 engins avaient déjà tenté leur chance avec le même protocole, sans succès.

Le train expérimental qui les conduirait ce jour-là à destination, faisait parti des appareils testés pour sa régularité et sa conformité au protocole. Évidemment la conduite serait manuelle durant les 100 kms de l’épreuve, le pilote ou le copilote devait réagir à la moindre variation du terrain où de l’environnement.

Ceci demandait une grande maîtrise de soi, une concentration de tous les instants, tout en étant suffisamment relaxé pour gérer les imprévus. Mélanie et Martin était tous deux ingénieurs, ils avaient participé à la construction de ce nouveau train, et avaient effectué des tests de conduite en laboratoire. Ils en connaissaient le fonctionnement sur le bout des doigts. Chacun d’eux serait équipé d’un casque qui mesurerait les réactions de leur cerveau pour la science.

L’aventure était née après la cyber attaque qui avait paralysé la planète entière. Tous les moyens de communication, toutes les machines s’étaient arrêtées brutalement pendant de longues heures. On avait soupçonné l’une des grandes puissances, qui aurait introduit un virus informatique dans l’un des 2 grands satellites internationaux. Il se serait répandu sur l’ensemble des réseaux. Malheureusement, le monde entier s’était retrouvé impuissant devant les outils de travail et de loisirs. L’idée d’un retour aux fondamentaux avait ressurgi : Réapprendre à se débrouiller soi-même. Il fallait pouvoir remplacer les machines manuellement dans les domaines stratégiques et entraîner chacun à être réactif. Un véritable défi par rapport aux programmations assistées. Pour Mélanie ce 12 mai était le grand jour. Cela faisait déjà 2 fois qu’ils avaient échoué, c’était leur dernière chance. La première fois un papillon avait traversé son champ de vision au moment où le train amorçait la descente de Pennaros. L’instant crucial où tous ses sens étaient en éveil au moment où elle allait devoir freiner la puissante machine. Ce magnifique spécimen surgit de nulle part l’avait distraite une fraction de seconde. La puce enregistra 101 kms pendant 1/4 de seconde. La tuile ! La fois suivante ils avaient inondé la cabine de désinfectant et d’insecticide. C’est Martin qui était aux manettes. Il commit une erreur qui leur fut fatale. Après le virage de l’aqueduc, le soleil qui resplendissait inonda un instant son visage. Il éternua si fort que les vitres en tremblèrent. Le compteur afficha 99,99kms/h pendant 1sec et demie.

Cette fois avec toute l’équipe, ils avaient anticipé l’impossible, imaginé toutes les interférences improbables, élaborés tous les scénarios, nés de leur imagination et de leur expérience. Ils étaient en pleine auto programmation :

Il fallait tenir,

Ne point se divertir

Des nerfs d’acier

Un mental de fer

Avec fermeté se positionner

Sortir de cet enfer

Sans coup férir

Le rythme maintenir.

Ils arrivèrent avec leur équipe à la gare de Quimper, où le train emporterait quelques passagers surprises triés sur le volet. Coiffés de leur casque et équipés d’une visière frontale ils avaient l’air de sortir d’un film futuriste. Le chrono de la puce électronique se déclencherait à quelques kms du départ, afin d’atteindre la gare de Vannes à 100 kms pile. Sur le trajet qui la menait à son rendez-vous Mélanie avait longuement pensé à sa grand-mère, Mamie Victorine. Celle qui l’avait encouragée, stimulée, accompagnée dans ses projets. Elle aussi avait travaillé dans la recherche scientifique. Dans les années 50, elle avait participé à la mise en œuvre des premières prévisions météorologiques par informatique et était devenue une spécialiste en programmation assistée par ordinateur.

– Je crains qu’un jour la machine ne surpasse l’homme à tel point que nous ne puissions plus rien contrôler, lui disait-elle.

Elle allait avoir 100 ans ce 12 mai à 18 heures. Avec l’accord des autorités et le soutien de l’équipe, le trajet avait été programmé de 17h à 18h ce même jour. Elle avait promis à sa grand-mère d’aller la voir dès son arrivée. Quelques mois plus tôt ils avaient eu très peur pour sa santé. Elle s’était mise à tousser anormalement. Elle avait alors 99 ans 9 mois et 9 jours. Son énergie et son désir de fêter ses 100 ans avec toute la famille et surtout d’assister à l’expérimentation de Mélanie l’avait galvanisée.

– Ce sera peut-être mon dernier anniversaire, dieu sait si j’atteindrai les 101 ans, songeait-elle.

– Ce n’est qu’un petit refroidissement, tout va bien avait dit son médecin.

Son fils Léon qui vivait avec elle, avait tout prévu pour les festivités. Ils se retrouveraient dans la grande maison de famille pour fêter l’évènement. La plupart de ses petits-enfants, neveux et nièces habitait dans un rayon de 100 kms. Son fils Raymond vivait à Paris il était d’astreinte à l’hôpital, il les rejoindrait par vidéo. Sa fille Manuelle était installée à La Crèche dans les Deux Sèvres. Elle viendrait en voiture avec son mari Rémy et leurs deux enfants.

– Une visite à maman s’impose dans ces circonstances. Nous dormirons à l’hôtel. Elle n’avait pas vu sa mère depuis de longs mois.

Après les préparatifs d’usage Mélanie et Martin s’installèrent dans la cabine sans un mot. Le reste de l’équipe les accompagnait dans le premier wagon tandis que les quelques personnes invitées étaient dans le wagon suivant. En montant les marches Mélanie avait ressenti une grande sérénité, tout autour d’elle avait disparu, elle était déjà dans la conduite. Le vent fou s’était calmé, la météo était de bon augure pour le voyage. Le train démarra tranquillement pour atteindre sa vitesse de pointe de 100 kms à l’heure. Au km zéro, Mélanie sentit un léger frisson lui parcourir le corps. Elle ne s’était jamais sentie aussi sûre d’elle, son compagnon de route à côté d’elle semblait serein. Ils allaient réussir cette fois. Mais, soudain une alarme stridente se mit à rugir il ne restait que 1 km à parcourir, elle ne l’entendit pas. Pas question de s’arrêter, elle resta concentrée, elle était dans sa bulle. Le pire avait été évité. On découvrirait plus tard qu’une oie qui s’était habituée au calme de la nature avait percuté un capteur de présence sur le toit. L’alarme s’arrêta aussi vite qu’elle s’était déclenchée. La machine poursuivie sa route. A l’arrivée le sifflement du train retentit longtemps sur les quais. Ils avaient réussi ! Un rapide briefing avec l’équipe puis l’huissier et ils sortirent sur les quais.

Mélanie aurait aimé se rendre directement chez sa grand-mère, mais elle dû aller à la mairie avec toute l’équipe pour l’interview organiser avec la presse et la télévision en direct. Quand elle entra dans le hall, elle vit alors les passagers surprises de l’expédition, ses oncles, tantes, neveux et nièces qui entouraient Victorine, assise dans la salle de réception. D’un pas décidé, Mélanie se dirigea vers elle, dans le regard de sa grand-mère elle vit toute la fierté de sa réussite. Son sourire irradiait son beau visage parcheminé de rides. Sans un mot elles s’embrassèrent et se serrèrent dans les bras l’une de l’autre pendant un long instant. Mélanie et Martin avec toute l’équipe avait relevé le défi. Victorine était rassuré l’homme pouvait faire aussi bien que la machine, il resterait le maître du temps et de l’espace.

– Quel sera ton prochain challenge, Mélanie, j’ai hâte de le connaître, car je compte bien y être pour mes 101 ans !

Viviane le 11/05/2020

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