Pari confiné de Géraldine

Pari confiné

Installée sur le clic-clac de sa chambre de bonne située rue Cognacq Jay, elle pensait.

Comment de cet espace vital de 12 m2 sanitaires et kitchenette compris allait elle résister à ce confinement imposé ?

Drôle d’année 2020 quand même propice au changement de dizaine, élaboration de projet, de vœux à souhaiter et d’étrennes à donner, mais surtout pas à rester confiné.

Elle avait pourtant bien décoré son espace très cocooning aux couleurs pastels, aux odeurs de lavande, région de ses origines et où chaque chose était à sa place. Tout était fait pour s’y sentir bien. Comment pouvait-il en être autrement ? Ses livres étaient ses meubles, sa musique le bruit incessant des véhicules circulant sur les quais de Seine ou d’Orsay, son regard, la tour Eiffel à quelques enjambées de là. Un vasistas délivrait une lumière reflétant le tout Paris différente selon les saisons, le temps, et l’industrie. Ah la tour Eiffel, il fallait bien la pencher la tête pour l’apercevoir, c’est d’ailleurs ce qui l’avait séduit à l’agence immobilière. L’annonce précisait : à louer chambre de bonne confortable, refaite à neuf située dans quartier calme et commerçant avec vue sur la tour Eiffel. Elle avait accepté et signé. Elle était chez elle. Elle aimait ouvrir son vasistas, être saluée par Mr Pigeon qui roucoulait sans cesse. Quelques miettes de pain et graines pour oiseaux le fidélisaient. On peut dire qu’ils étaient devenus amis. Très vite ils se sont adoptés.

Brusquement le mot confinement imposé par le gouvernement surgit de son esprit. En 24h tout était bloqué. D’ailleurs c’était bien cela la définition dans le Petit Larousse ; « confinement, action de confiner, de se confiner dans son lieu, fait d’être confiné ». Elle l’était bien confinée entre ses 4 murs. Elle aurait pu devenir malade, mais elle avait pour elle la faculté d’imaginer. Rêveuse elle pouvait sortir de ses pensées, construire. Voyager était son quotidien. Elle déplaçait facilement les pions sur la cartographie de son mental.

Un bruit métallique la fit sursauter, c’était les pattes de Pigeon qui martelaient le toit en zinc. C’est l’heure de notre conversation se dit elle. La tête penchée à son vasistas, elle se mit à lui parler : Pigeon toi le voyageur combien de km peux tu parcourir pour t’évader de ta condition urbaine et y revenir, 100 en général, plus, moins ? Je dis km car il me faut bien un repère, une distance, de quoi me référer. Comment fais tu pour retrouver ton habitat, ton sens de l’orientation est suffisamment aiguisé pour te retrouver ici dans notre face à face. Pigeon je te dis 100 km, cela peut être 99,9 ou 101. Tu n’es pas à quelques envolées près ? Il roucoulait piétinait davantage le zinc tournant la tête de part et d’autre en signe d’approbation. C’est comme s’il comprenait. Une sorte de complicité s’était installée entre eux.

Tu sais, je suis prisonnière de l’intrus, ce virus ravageur parfois tueur qui nous impose le respect de l’intériorité. Alors mes kilomètres je les fais en petite foulées dans mon cerveau. Je tente vainement symboliquement de franchir mes 100 km, de toujours aller plus loin. Une pensée va très vite en distance mais en temps ? je ne sais. Pigeon la regardait semblant la comprendre et acquiescer. D’ailleurs qu’importe le tout est de parcourir le monde. Ai-je atteins les 101 km ? Mystère, je voyage.

Point d’aliénation, de lois, contention pour aller à la rencontre de sa liberté. Tu vois Pigeon, je t’ai temporairement, tu n’es pas bagué, tu pars et reviens après tes kilomètres effectués. Tu es libre. Mais je fais quand même le pari que c’est parce que la nourriture est bonne ici et dis toi bien que c’est grâce au confinement que nous vivons presque ensemble n’est ce pas !

Perdue dans ses pensées elle ne se rendit pas compte que Pigeon s’était envolé vivre sa liberté. Pas de contrainte juste la spontanéité de l’instant était son école. Elle jeta un dernier coup d’œil à la tour Eiffel et referma doucement le vasistas, s’assit sur le canapé le sourire aux lèvres en se disant : je suis confinée ici dans ce réduit pour combien de temps à parcourir des distances subjectivement mais je trouve ma liberté aussi bien dedans que dehors et je suis bien. Le sommeil s’invita, elle ferma les yeux prête à franchir les distances de son imagination.

Géraldine

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