La révélation de jonquille

La révélation

Le lendemain, en chemin pour la résidence du Parc des trois sources, après une nuit où j’avais peu dormi, hantée par le récit d’oncle Louis, je me disais que la valise n’avait certainement aucun rapport avec la cuisinière de mon grand oncle, et que je restais uniquement pour lui faire plaisir. Il voulait à toute force me conter toute l’histoire.

C’était une superbe journée de printemps, sans vent, dès le matin le soleil réchauffait l’atmosphère, aussi Louis me demanda-t-il de sortir dans le parc. Je poussais son fauteuil dans les allée baignées de soleil, je respirais les parfums des parterres et je tendais l’oreille, mais Louis n’avait pas l’air décidé à continuer son récit. Comme je l’interrogeai il me dit :

— Tu es trop pressée. Apprécie donc le soleil et le chant des oiseaux pendant que je remets de l’ordre dans ma vieille caboche.

Je patientais donc au gré des arabesques des chemins soigneusement dessinés. Bientôt nous aurons fait le tour complet du parc. Si j’avais un podomètre il indiquerait un kilomètre et peut-être plus un hectomètre ou moins un mètre. Rien à voir avec la déviation de cent ou cent un kilomètres ou seulement quatre vingt dix neuf virgule neuf kilomètres que mon train avait du emprunter pour m’amener ici, l’orage ayant endommagé la voie. La réparation sera-t-elle terminée pour ce soir ?

Nous arrivâmes à un espace circulaire, une sorte d’arène ou de cirque, des bancs en faisaient le tour.

Quelques résidents y prenaient le soleil.

— Installons nous là dit Louis. Nous étions dans la cuisine, c’est bien ça ? Et les trois femmes s’étaient attablées ? Appuyé au chambranle de la porte je les écoutais bavarder en sirotant leur thé.

LeThû expliqua qu’elle se préparait à retourner dans son pays. Elle avait travaillé sa vie durant dans plusieurs restaurants asiatiques du treizième arrondissement. La plus part étaient tenus par des chinois. Ils changeaient régulièrement de propriétaire, le patron faisant venir des membres de sa famille pour prendre la relève, lui même allant s’établir ailleurs. Dans le dernier restaurant où elle avait exercé, le nouveau patron était accompagné d’une véritable armada, son équipe au complet.Il avait remercié Le Thû, en y mettant les formes . Plus de travail, elle était trop âgée pour être embauchée ailleurs. Plus de logement non plus car l’ancien patron lui louait une chambre de bonne dans l’immeuble.

— Depuis quand êtes-vous en France? interrogea Simone

— J’avais dix ans quand j’ai quitté mon pays. Les temps étaient troublés. Les japonais n’étaient plus là mais le pays se divisait, la guerre continuait, une autre guerre…

Elle se tut, songeuse.

— C’est si loin. Je crains de ne rien reconnaître. Rose veut m’accompagner. Elle aimerait voir d’où elle vient. Savez-vous qu’elle est en troisième année de médecine ?

Je tombai des nues ! Ainsi la discrète Rose était étudiante.

— C’est pour ça que le midi elle est rarement là, dit ma femme en souriant, lançant un regard plein d’indulgence à notre cuisinière, mais le repas est toujours prêt ; il suffit de le réchauffer.

Je connaissais enfin le motif de ses absences.

— Je l’ai poussée à étudier, reprenait la grand -mère, je m’occupe d’elle depuis ses trois ans. Elle a hélas, perdu ses parents dans un accident de la route.

Rose se taisait, le nez dans sa tasse de thé. Discrète, voire secrète, elle n’aimait pas voir sa grand-mère s’épancher ainsi. Mais c’était compter sans Simone . Car Simone ,ma chère enfant, avait l’art de provoquer les confidences, un peu comme toi.

L’histoire de ces deux femmes m’intéressait, mais je pensais ne rien apprendre à propos de la valise, et pourtant c’était bien ce qui m’avait amenée ici. Soudain, je songeai à mon retour, à l’heure de départ du train…

— Eh ! Tu m’écoutes ? reprit oncle Louis. Le Thû continua de raconter :

— Quand j’ai débarqué en France avec ma mère, c’était à Marseille où nous sommes restées quelques mois ; le temps pour ma mère de gagner un peu d’argent et de se remettre de la longue traversée . Elle avait été malade le mois entier ; jamais elle ne s’était amarinée. Puis ce fut le grand saut dans la capitale. Je me souviens de mon enthousiasme. C’était, disait ma grand-mère la plus belle ville du monde. Elle n’avait jamais quitté l’Indochine, mais son ami François la lui avait décrite.

Entendant ce prénom, je sursautais et me fit plus attentive aux paroles de mon grand oncle qui poursuivait :

— D’ailleurs continuait de raconter LeThû, elle avait assuré ma mère de la gentillesse de ce François ;s’en souvenait -elle ? Elle l’avait rencontré alors que petite fille elle l’accompagnait sur les marchés. Elle confia une valise à ma mère, à remettre à ce François à notre arrivée à Paris, ce que ma mère n’a pas pu faire.

— Pourquoi ? interrogea Simone.

— À l’adresse donnée par ma grand-mère, il n’y avait pas ce nom sur les boîtes aux lettres. Le dénommé François avait sans doute déménagé, à moins qu’il ne soit décédé. La valise nous encombrait. Ne sachant où aller, nous retournâmes dans la gare la plus proche et la déposâmes à la consigne, comme à Marseille. Puis d’une cabine, elle appela un compatriote qui vint nous chercher.

C’est comme ça que nous découvrîmes le quartier chinois qui fut mon univers pendant toute mon adolescence puis ma vie entière.

Quand nous eûmes un petit chez nous, ma mère alla chercher la valise et revint désespérée. Les consignes avaient disparues, la gare était en travaux, personne ne put la renseigner sur le contenu des casiers. Elle avait failli à sa mission, elle était si désespérée qu’elle en tomba malade. J’avais seize ans, je la remplaçais chez son patron, un restaurateur chinois. Elle travaillait à la cuisine, ce fut mon poste. Et il l’est resté jusqu’à maintenant, malgré les changements de patron.

— Ce nom, le nom de ce François, vous vous en souvenez ? Demanda Simone

— C’est le même que le votre. C’est d’ailleurs pour ça que Rose est venue travailler chez vous. Mais vous n’avez pas de lien avec l’Indochine en dehors de ce service à thé, vous n’y êtes même jamais allés.

Et c’est là que je me manifeste , dit Louis

— Mon oncle François l’a rapporté de chez vous, François Sazoutane.

Instantanément LeThû et Rose se retournèrent. Leurs yeux interrogateurs me fixaient intensément.

L’appartement que vous cherchiez existe toujours, et il est toujours dans la famille. Aujourd’hui c’est ma petite nièce qui l’habite. François n’a eu que des filles, le nom s’est perdu.

Le Thû était stupéfaite.

— Alors c’était la bonne adresse ? Articula-t-elle.

— Maintenant qu’on a l’adresse, on n’a plus la valise et on a perdu sa trace, dit Rose. Ça ne nous sert plus à rien.

— Ma mère aurait été si contente, ajouta Le Thû d’une voix emplie de tristesse.

J’étais stupéfaite. La cuisinière de mon grand oncle avait bel et bien un lien avec « ma valise ». Midi approchait ; les résidents assis sur les bancs s’étaient levés et s’en allaient vers la salle à manger Louis poursuivait :

— Quelques mois plus tard, avant de s’envoler pour le Viet Nam, Le Thû me confia un drôle de porte-clé avec trois clés en me disant :

—C’est tout ce qui me reste de ma mère et de la valise, je ne le rapporte pas chez moi. Cela vous revient, vous êtes un parent de François.

Je me souviens l’avoir rangé dans un tiroir de la cuisine Rose y avait mis une étiquette avec ton adresse. Et je l’ai complètement complètement oublié. Quand on est partis Simone et moi, il est resté dans le tiroir.

— C’est celui-là ? Demandai-je en sortant l’objet de mon sac.

— Oui, mais …Comment est-il en ta possession ?

Je narrais alors à Louis l’extravagante découverte de l’objet et la toute aussi extravagante récupération de la valise, en poussant le fauteuil vers la salle à manger. Il s’agitait tout émoustillé .

— Il faut que tu le dises à Rose !

— Mais elle est au Viet Nam.

— Non . Elle est revenue, et a terminé ses études. Elle est pédiatre à l’hôpital Necker. Parfois elle vient me voir. Il FAUT que tu lui dises. C’est un miracle d’avoir retrouvé cette valise !

Je quittai oncle Louis, appelai un taxi et filai à la gare. Le trajet jusqu’à Paris me parut très très court. Je pensai à ma grand-mère qui se mêlait à toutes les grand-mères et arrières grand-mères de cette histoire et qui me disait «  la vie nous réserve bien des surprises. »

Jonquille

Kerlaz, le 22 Mai 2020

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